Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cieusement un petit ruisseau, pour de là se frayer en serpentant sa route à travers une longue étendue de tendres et vertes prairies, elle était entourée d’ifs qui semblaient presque aussi vieux qu’elle. Sa grande flèche gothique s’élançait légèrement du milieu d’eux, avec les grolles et les corneilles qui d’ordinaire décrivaient lourdement leurs cercles à l’entour. J’étais assis là, par une matinée calme et pleine de soleil, observant deux journaliers en train de creuser une fosse. Ils avaient choisi l’un des coins les plus écartés, les plus négligés du cimetière, où, d’après la quantité de tombes sans nom qui s’y pressaient, il était évident que les indigents, les délaissés, étaient confusément enterrés. On me dit que la fosse creusée nouvellement était pour le fils unique d’une pauvre veuve. Pendant que je méditais sur les distinctions factices du monde, qui s’épanouissent ainsi jusque dans la poussière, le tintement de la cloche annonça l’approche du convoi funèbre. C’étaient les obsèques de la pauvreté, l’orgueil n’avait rien à faire ici. Le cercueil, du bois le plus commun, sans drap mortuaire ou autre couverture, était porté par quelques-uns des villageois. Le sacristain marchait en avant, d’un air de froide indifférence. Il n’y avait pas là de faux affligés portant le masque d’une douleur d’emprunt, mais il y avait une affection véritable qui suivait à grand’peine le corps en chancelant. C’était la vieille mère du défunt — la pauvre vieille femme que j’avais vue assise sur les degrés de l’autel. Elle était soutenue par une humble amie, qui s’efforçait de la consoler. Quelques-uns des pauvres d’alentour s’étaient joints au cortège, et des enfants du village couraient la main dans la main, tantôt faisant retentir les airs de leur indiscrète gaieté, tantôt s’arrêtant pour contempler, avec leur curiosité d’enfants, la douleur de cette affligée.

Comme le convoi funèbre approchait de la fosse, le ministre sortit du porche de l’église, revêtu du surplis, son livre de prières à la main, accompagné de son clerc. Le service cependant n’était qu’un acte de charité. Le défunt était sans ressources, et la survivante n’avait pas un penny. On l’expédia donc pour la forme, mais froidement, durement. Le prêtre au large abdomen n’avança que de quelques pas en dehors de la porte de l’église ; c’est à peine si de la fosse on pouvait entendre sa voix, et jamais je ne