Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/184

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Il y a dans cette magnificence une tristesse poignante ; dans ce bizarre mélange de tombes et de trophées ; dans ces emblèmes de l’ambition vivace et frémissante, coudoyant ces monuments qui disent la poussière et l’oubli dans lesquels tout doit tôt ou tard tomber. Rien ne grave d’une façon plus profonde dans l’esprit le sentiment de l’isolement que de fouler une scène déserte et silencieuse de bruit et de pompe expirés. Pendant que je promenais mes regards sur les stalles vides des chevaliers et de leurs écuyers, sur les rangées de poudreuses mais splendides bannières que l’on portait autrefois devant eux, mon imagination évoqua la scène que présentait cette salle alors que les guerriers et les beautés du royaume la faisaient resplendir ; qu’elle étincelait de tout l’éclat des pierreries, des costumes militaires ; frémissante sous les mille pieds, et retentissant des murmures d’une foule idolâtre. Mais tout avait disparu ; le silence de la mort avait à son tour pris possession de ces lieux, interrompu seulement de loin en loin par le gazouillement d’oiseaux qui s’étaient, ne sais comment, introduits dans la chapelle, et avaient construit leurs nids au milieu des frises et des banderoles — signes assurés de solitude et d’abandon.

Je lus les noms inscrits sur les bannières, et je vis que c’étaient ceux d’hommes qui avaient fatigué la surface du globe ; les uns avaient été ballottés sur des mers lointaines ; d’autres avaient porté la guerre dans de lointaines contrées, ou bien ils s’étaient mêlés aux brigues inquiètes des cours et des cabinets ; tous avaient cherché à mériter une distinction de plus, l’admission dans ce séjour des honneurs voilés d’ombre : la mélancolique récompense d’un monument.

Deux petites ailes situées de chaque côté de cette chapelle offrent un exemple touchant de l’égalité devant la tombe, qui courbe l’oppresseur et le met au niveau de l’opprimé ; qui confond la poussière des ennemis les plus acharnés. Dans l’une est le tombeau de l’orgueilleuse Élisabeth ; dans l’autre est celui de sa victime, la charmante et infortunée Marie. Pas une heure du jour que l’on n’entende se mêler, dans quelque exclamation de pitié provoquée par le sort de l’une, de l’indignation contre son bourreau. Les murs du tombeau d’Élisabeth redisent continuellement les soupirs de sympathie poussés au tombeau de sa rivale.