Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/347

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cun résultat, en dépit de tout notre admirable équipement, un méchant petit paysan descendit nonchalamment la colline avec un scion fait d’une branche d’arbre, quelques mètres de fil retors, et, Dieu me pardonne ! une épingle recourbée, je crois, pour hameçon, auquel pendait, en guise d’amorce, un ignoble ver de terre, — et dans une demi-heure attrapa plus de poisson que nous n’avions eu de fretin dans toute la journée.

Mais surtout je me souviens de « l’excellent repas, repas honnête, salutaire, riche d’appétit », que nous fîmes sous un hêtre, près d’une source fraîche et limpide qui s’échappait doucement du flanc d’une colline ; et que, lorsqu’il fut terminé, l’un de nous lut à haute voix la scène entre le vieil Isaac Walton et la laitière, tandis que j’étais couché sur l’herbe et que je bâtissais des châteaux dans une brillante pile de nuages, jusqu’à ce que je m’endormisse. Tout cela peut paraître ressembler à de l’égotisme pur ; cependant je ne puis m’empêcher de fixer ces souvenirs, qui passent sur mon esprit comme un accord de musique, et qui ont été évoqués par une agréable scène dont je fus témoin il n’y a pas longtemps.

Dans une excursion matinale le long des rives de l’Alun, charmant petit ruisseau qui descend des montagnes galloises et se jette dans la Dee, mon attention fut attirée vers un groupe assis sur le bord. En approchant, je vis qu’il consistait en un pêcheur à la ligne émérite et deux paysans ses élèves. Le premier était un vieux brave homme à jambe de bois, aux vêtements excessivement mais très-soigneusement rapiécés, indice d’une pauvreté honnêtement encourue et décemment supportée. Sa figure portait les traces d’orages éclatés, mais on voyait que le temps s’était rasséréné ; les rides s’y étaient fondues dans un perpétuel sourire ; ses boucles de cheveux gris-fer se jouaient autour de ses oreilles, et il avait au plus haut degré l’air de bonne humeur d’un philosophe par tempérament, qui était disposé à prendre le monde comme il était. L’un de ses compagnons était un individu en guenilles, ayant la mine en dessous d’un insigne braconnier, et qui savait trouver, j’en répondrais, par la nuit la plus obscure, le chemin conduisant à l’étang de n’importe quel gentilhomme du voisinage. L’autre était un jeune garçon du pays, de haute taille, à l’air gauche, aux allures nonchalantes, et, suivant toute apparence, quelque chose comme un dameret de campagne. Le