Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/350

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et beau. Bien qu’il eût été, en différents pays, aussi rudement traité que la pauvre brebis qui laisse un peu de sa laine à toutes les haies et à tous les buissons, cependant il parlait de toutes les nations avec candeur et bienveillance, paraissant ne voir que le bon côté des choses ; et pour donner le dernier coup de pinceau, c’était presque le seul homme que j’eusse jamais rencontré qui eût cherché sans la trouver fortune en Amérique et qui eût assez de droiture et de générosité pour s’en imputer la faute et ne pas maudire le pays. Le gars qui recevait ses instructions était, à ce que j’appris, le fils et l’héritier présomptif d’une grosse veuve passablement âgée qui tenait l’auberge du village, par conséquent un jeune homme de quelque espérance et très-cajolé par la fleur des oisifs personnages de l’endroit. Aussi le vieillard, en le prenant sous sa direction, avait-il probablement en vue un coin privilégié dans le salon du cabaret, et à l’occasion un verre d’ale réjouissante sans bourse délier.

Il y a certainement quelque chose dans la pêche à la ligne, si nous pouvions oublier, ce que les pêcheurs à la ligne sont enclins à faire, les cruautés et les tortures infligées à de pauvres animaux, aux vers et aux insectes, qui tend à produire une certaine affabilité d’humeur, une sérénité d’esprit parfaite. Comme les Anglais sont méthodiques, même dans leurs passe-temps, que c’est le peuple qui s’amuse de la façon la plus scientifique, elle a été réduite chez eux en règles et en système complets. C’est au reste une distraction singulièrement en harmonie avec la douce nature soigneusement cultivée de l’Angleterre, où toute inégalité de surface s’est aplanie, a disparu du paysage ; et c’est chose ravissante que de flâner le long de ces limpides ruisseaux qui se jouent, semblables à des veines d’argent, au sein de cette belle contrée, vous conduisant à travers une variété de petits paysages intimes ; quelquefois serpentant à travers des terrains d’agrément ; quelquefois débordant en chemin au milieu de riches pâturages où l’épaisse verdure est émaillée de fleurs odoriférantes ; quelquefois se hasardant en vue de villages et de hameaux, et puis allant capricieusement s’enfoncer dans d’ombreuses solitudes. La douceur et la sérénité de la nature, et la tranquille vigilance qu’exige ce passe-temps, vous jettent peu à peu dans de charmants accès de rêverie, qui sont de temps à autre agréa-