Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/366

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riants festons le long des murs, se mêlant au clinquant des cosses de poivre rouge ; et une porte laissée entre-bâillée lui permit de jeter un rapide coup d’œil dans la plus jolie pièce, où les chaises à pieds fourchus et les tables en acajou sombre brillaient comme des miroirs ; des chenets, avec la pelle et les pincettes, leurs accessoires obligés, étincelaient du milieu de leur fourré de pointes d’asperges ; de fausses oranges et de grands coquillages décoraient la tablette de la cheminée ; des cordons d’œufs d’oiseaux aux couleurs variées se suspendaient au-dessus ; un grand œuf d’autruche se détachait au milieu de la chambre, et un buffet angulaire, laissé ouvert à dessein, étalait d’immenses trésors de vieille argenterie et de porcelaine habilement rajustée.

Du moment où Ichabod eut jeté les yeux sur ces régions enivrantes, sa tranquillité d’esprit disparut, et dès lors son unique souci fut de savoir comment il gagnerait l’affection de l’incomparable fille de Van Tassel. Par malheur, il y avait dans cette entreprise plus de difficultés réelles que n’en rencontrait d’habitude autrefois un chevalier errant, lequel avait rarement autre chose que des géants, des enchanteurs, des dragons enflammés, et autres adversaires dont il était tout aussi facile de triompher, à combattre, et n’avait à se frayer une route, pour arriver au donjon du castel où la dame de ses pensées était renfermée, qu’à travers des portes de fer et d’airain et des murailles de diamant ; toutes choses dont il venait aussi aisément à bout qu’un homme s’ouvrirait une route pour parvenir au centre d’un pâté de Noël ; après quoi la dame lui donnait tout naturellement sa main. Ichabod, lui, avait à toucher le cœur d’une coquette de campagne, flanqué d’un labyrinthe de boutades et de caprices, qui continuellement offraient des difficultés et des obstacles nouveaux ; et de plus il avait à affronter une multitude de terribles adversaires, réels, en chair et en os, les nombreux admirateurs rustiques qui cernaient toutes les avenues de son cœur, ne cessant de promener les uns sur les autres des regards vigilants et courroucés, mais tout prêts à se réunir, dans l’intérêt commun, contre un nouveau compétiteur.

Le plus formidable d’entre eux était un gros, bruyant, joyeux compère, du nom d’Abraham, ou, suivant l’abréviation hollandaise, Brom Van Brunt, le héros de tout le pays à la ronde, le-