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les tables de marbre alignaient régulièrement leurs rectangles blafards, et des silhouettes grisâtres s’estompaient, imprécises, éclaboussées çà et là par la note plus vive d’un chapeau de femme.

Le chef leva sa baguette, et Minouche commença, sans trop savoir ce qu’elle faisait :

Je viens de voir, par ma fenêtre,
Sourire un rayon de soleil :
C’est le printemps qui vient de naître,
De la nature c’est l’éveil.
J’ai mis ma plus riche toilette,
Viens avec moi, beau troubadour,
Cueillir roses et pâquerettes,
Car c’est la fête de l’amour.

Il avait raison, le vieux Ciboulot. Comme poésie et comme nouveauté, ce n’était pas délirant. Comme interprétation non plus, du reste. Si l’intonation n’était pas très sûre, la voix l’était, en revanche, autant que six bocaux de cornichons. Ce que la diction perdait à l’imprécision des consonnes, l’accentuation canaille des voyelles ne le faisait pas regagner. Quant aux gestes… ils étaient trois, les gestes : Pour saluer le printemps, la main droite, rapprochée, puis écartée des lèvres, semblait tirer de la bouche de la chanteuse un cheveu égaré dans son potage. Pour décrire la riche toilette, la main gauche extrayait à son tour un cheveu exactement de la même longueur que le premier. Et pour célébrer la fête de l’amour, les deux bras amplifiaient ensemble le mouvement précédent, puis restaient suspendus en l’air, gracieusement arrondis, comme pour recevoir, au bout de deux invisibles baguettes, un diabolo qui allait tomber du cintre.

L’auditoire attendait la suite, figé dans un morne silence. Et Ciboulot, derrière le manteau d’arlequin, rassembla toutes les rides de son vieux visage autour