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tournées à payer, faisait respecter la tradition avec une autorité sévère.

Donc, ce soir-là, la palme, qui consistait en une boîte de cigares, échut à Cul-de-plomb, un bon gros rougeaud de dix-huit ans, entré à la salle depuis trois mois, et qui avait mérité ce surnom par la vitesse et la légèreté de ses attaques. Le second, un être quelconque, dont je n’ai pas gardé souvenance, gagna une paire de fleurets. Après avoir largement arrosé les prix à la salle, on alla les arroser ailleurs, un peu partout, et l’on échoua, vers deux heures du matin, dans un petit cabaret plutôt aveugle que borgne, le seul qui fût encore ouvert. Cul-de-Plomb, ivre dès le troisième verre, buvait depuis sans discontinuer, serrant sur son cœur la boîte de cigares qu’il avait gagnée, refusant d’en offrir à personne, et parlant de faire encadrer ce glorieux trophée. Les fleurets de l’autre vainqueur étaient de la partie, bien entendu, non sans danger pour les yeux des consommateurs attardés, qui semblaient les attirer comme de l’aimant, et pour les tables chargées de verres, qu’ils balayaient à tout instant, sans qu’on pût savoir comment ça s’était fait.

Soudain, pendant qu’une demi-douzaine de voix vigoureuses chantaient chacune une chanson différente, Cul-de-Plomb s’écria :

— Je veux me battre en duel !

D’abord, on n’y fit pas attention. Mais il répéta sa phrase trente fois, quarante fois, avec une obstination magnifique, si bien qu’on finit par lui demander :

— Avec qui veux-tu te battre ?

— Avec n’importe qui, répondit-il, je suis plus fort que lui !

Je n’avais pas bu moins que les autres. Aussi je trouvai tout naturel de déclarer :