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par un beau dimanche

mais très adroite à s’attirer la bienveillance des employés gros et petits, en servant ou en menaçant leurs intérêts personnels, la bonne vieille faisait l’intérim depuis quinze grandes années, au mépris de tous les règlements, sans que nul se fût jamais avisé de l’inquiéter sur ce point. Comme le titulaire officiel, là-bas, à l’autre bout du monde, se portait fort bien et semblait décidé à ne jamais revenir, elle faisait souvent remarquer, non sans satisfaction, qu’on pourrait seulement la mettre à la retraite lorsque son fils en atteindrait l’âge, et qu’elle aurait alors cent deux ans, ce qui constituait pour elle un indéniable avantage sur ses collègues nommés à titre régulier

Furieuse, au début, de s’entendre appeler « Monsieur le Chef de Gare », elle avait fini par s’y habituer, puis par en être fière. Douée, du reste, d’un esprit alerte et caustique, elle menait les voyageurs tambour battant, et accomplissait son service sans omission ni défaillance.

— J’espère que le train montant n’est pas encore passé ? demanda le docteur.

— Pas encore… Vous l’prenez ?… Pour où-s-qu’y vous faut un coupon ?

— Non, non !… Pas de coupon pour moi… Je viens simplement attendre mon beau-frère et ses deux filles… Le train tardera longtemps encore ?

Monsieur le Chef de Gare tira, de la poche de sa jupe, une grosse montre d’homme enfermée dans une boîte en celluloïd, y jeta un coup d’œil, puis répondit :

— D’après l’horaire y d’vrait être passé d’puis un quart d’heure. Donc, si nous étions en s’maine, y s’rait là dans cinq minutes. Mais comme c’est dimanche, vous en avez encore pour une petite demi-heure.

— Nous sommes dimanche, c’est vrai ! opina M. Brusy en se passant le bout des doigts sur