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par un beau dimanche

venait d’ausculter un malade incurable, et se mit à courir à son tour.

À toute allure, il rattrapa Hougnot et ses deux filles, puis leur souffla, en désignant l’étroit sentier qui s’enfonçait au cœur d’une sapinière :

— Par ici ! Filons par ici !

Docilement, les autres s’engagèrent sous les funèbres ramures. Mais Marie, restée la dernière, se retourna d’abord longuement. Et le docteur, ayant fait de même, vit là-bas tout au bout, au sommet de la lande, un jeune homme, chaussé de superbes bottines jaunes, lancé dans une course éperdue, à la poursuite d’un magnifique chapeau gris, envolé en plein ciel.

Sous les sapins, la pluie ne tombait pas encore, mais on entendait déjà les grosses gouttes, de plus en plus serrées, s’écraser avec un bruit mat sur la voûte épaisse et sombre. Pendant deux ou trois minutes, tous quatre marchèrent en file indienne, graves, silencieux et pressés, dans l’impressionnante et triste pénombre du sous-bois. Le tonnerre grondait au loin, sourdement. Tout à coup, il éclata, très proche, formidable. Et, comme si le ciel s’était crevé soudain, on entendit l’averse ruisseler en flaques, en paquets d’eau, parmi les hautes branches qui s’agitaient, geignaient et hululaient sous les démentes rafales d’un vent furieux.

Entre les fûts des grands sapins, le jour reparut, gris et livide, obliquement strié de sauvages hachures par l’averse féroce. Marie et Joséphine s’arrêtèrent, frissonnantes. Mais le docteur leur cria, dominant à grand’peine le fracas formidable :

— Nous n’avons plus qu’à courir vingt mètres environ. Prenez votre élan et suivez-moi !

Enfonçant son chapeau sur sa tête, sa tête entre ses épaules, il plongea dans la pluie cinglante et se mit à grimper, de toute la force de ses vieilles jambes, un talus abrupt et rocailleux.