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par un beau dimanche

tenus de se fournir chez eux, sous peine d’être impitoyablement poursuivis en remboursement immédiat.

Ils vieillirent ainsi, vivant plus mal que des chiens, travaillant plus fort que des bœufs. Toujours vêtus comme des mendiants, nourris de soupe, de pommes de terre et de pain rassis, se refusant le moindre confort, la plus petite douceur, pressurant les gens de la campagne et rançonnant ceux de la ville, gagnant partout, ne dépensant nulle part. Créanciers intraitables, âpres à revendiquer ce qu’on leur devait, et même ce qu’on ne leur devait pas, débiteurs malhonnêtes, toujours prêts à nier toute dette contestable et ne lâchant leurs sous qu’un à un, quand ils ne pouvaient faire autrement, avec des cris de putois qu’on écorche, les cinq frères et sœurs avaient, depuis belle lurette, dégrevé leur ferme des hypothèques dont elle était chargée au début. Après quoi, ils se mirent à voler un peu plus encore, à se serrer le ventre un peu davantage, à travailler un peu plus durement, pour entasser un peu plus d’écus dans les introuvables cachettes dont on s’entretenait tout bas, le soir, à la veillée, dans les chaumines des environs.

Cinquante ans de ce régime pour le père, autant pour la mère, quarante en moyenne pour chacun des cinq frères et sœurs, cela fait bien trois cents années de travail forcené, de volonté inlassable, de malhonnêteté cauteleuse et de sordide économie, trois cents années de sacrifices délibérément consentis, non pour aboutir à la basse compensation des grossières jouissances physiques, mais pour atteindre à la réalisation d’un concept purement spirituel, exclusivement cérébral, sans relation aucune avec nos vulgaires plaisirs des sens : « Pouvoir se dire qu’on a de quoi ! »