Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/155

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locuteur devenir très pâle, en l’entendant balbutier avec une détresse profonde :

— Ah ! mademoiselle, vous avez cru faire une plaisanterie… Peut-être avez-vous appelé le malheur sur Lilian !

Mais obstinée, elle secoua sa jolie tête, et cependant avec une nuance d’embarras :

— Non, j’ai fait le bonheur de Lilian.

Et en hâte, comme quelqu’un qui craint une interruption :

— Elle est dans ma chambre, elle entend… Elle souffrait du doute ; elle m’a permis l’expérience… À présent je dirai tout, même ce qu’elle me défendrait de dire… Et vous verrez le bonheur au bout de tout cela. Et vous ne m’accuserez plus…

Soudain, la porte s’ouvrit brusquement. Lilian parut sur le seuil, mais une Lilian transfigurée, un rayonnement dans les yeux.

— Laisse, Grace, laisse, tu te trompes sur mon courage. C’est moi oui dois parler maintenant.

Et venant à Allan, stupéfait, pétrifié, elle continua :

— Jud, vous avez été pour moi le père, le frère dévoué, inlassablement dévoué. Je vous ai vu toujours bon, toujours tendre… Tout ce qu’il y avait d’affection en moi est allé à vous naturellement, sans effort… Je ne sais personne d’aussi noble, d’aussi digne que vous. Béni soit le ciel. Vous n’êtes pas mon frère… Je puis vous dire : Mon âme est à vous, Allan.

Les deux jeunes filles poussèrent un cri de frayeur.

Le professeur de West-Point s’était reculé, une expression d’épouvante sur le visage. Sa main avait cherché le dossier d’une chaise comme pour se soutenir.

Toute sa personne disait une souffrance si aiguë, que ses interlocutrices restèrent sans voix, sans pensée.

Mais tel un héros blessé qui domine la douleur et poursuit sa marche à l’ennemi, le professeur se redressa.

— Miss Lilian, et vous, Miss Grace, dit-il.

— Miss, s’écrièrent les amies, pourquoi nous parler ainsi qu’un inférieur doit seul le faire[1] ?

  1. Alors qu’en français il serait incorrect de ne pas faire précéder le nom d’une jeune fille du mot Mademoiselle, en anglais le mot Miss n’est employé que par les