Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/250

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— Qu’est-ce que vous voulez dire, au nom du ciel ?

— Que ce n’est plus elle.

À cette réponse stupéfiante, la comtesse elle-même cessa de manger, fixant sur la servante des regards ahuris. Pierre, oubliant tout décorum, avait saisi les poignets de Ruthie.

— Ah ça ! Avez-vous juré de me rendre fou, avec vos exclamations insensées.

— Non, monsieur le marquis, balbutia-t-elle. Monsieur le marquis doit être assuré que je ne me serais pas permis un serment semblable.

— Alors expliquez-vous, de par tous les diables !

— Les diables, c’est le mot, monsieur le marquis. Il y a de la diablerie la-dessous.

— Mais enfin, dessous quoi ? C’est à se briser la tête sur les murs !

— Eh, monsieur le marquis ! Pour expliquer, il faudrait comprendre, et je ne comprends pas moi-même.

— Vous ne comprenez pas quelle chose ?

— Ce que j’ai vu, vu de mes yeux, monsieur le marquis.

— Et qu’avez-vous donc vu, sotte créature ?

Ruthie prit un air piqué :

— Sotte, je le suis peut-être ; mais j’ai la vue bonne. Et ce que mes yeux ont vu est bien réel…, et personne ne me fera dire le contraire.

Pour un peu, Pierre eut étranglé la bavarde créature. Toutefois, il se rendit compte qu’il n’en tirerait aucun éclaircissement s’il ne procédait avec plus de calme. Aussi, dominant sa colère, abaissant la voix, il demanda :

— Miss a sonné, dites-vous. Qu’avez-vous fait alors ?

— Mon service, monsieur le marquis. Je me suis empressée d’entrer chez elle, de tirer les rideaux, de repousser les contrevents.

— Après ? Après ?

— Après, je me suis retournée du côté du lit, pour prendre les ordres de miss.

— Que vous a-t-elle donc ordonné pour vous bouleverser ainsi ?

— Rien, monsieur le marquis.

— Rien ?

— Pour la bonne raison que ce n’était pas elle qui se trouvait là.

Cette fois, Pierre fit un pas en arrière.

— Pas elle, répéta-t-il, pas elle ! Qu’est-ce que cela signifie ?

Ruthie haussa les épaules.