Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/256

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de Jemkins, de l’homme que le récit d’Allan lui avait désigné comme l’assassin de son père.

La folle s’était arrêtée là, sans qu’on remarquât sa présence. Ses yeux éteints vont de l’un à l’autre. On eût cru qu’elle faisait effort pour comprendre…

Au nom de Lilian, elle subit comme un choc.

Une clarté passe devant ses yeux hébétés par la liqueur de chanvre que, depuis son veuvage, les criminels lui dosent chaque jour.

— Allons, bon ! gronde Jemkins… Lily à présent ! Il est dit que tout ira mal aujourd’hui.

Et avec cette rudesse particulière à ceux qui prétendent dominer les insensés :

— Lily, ma chère, regagnez votre chambre. On n’a que faire de vous ici.

— Lily !

Quoi ? Oui a poussé ce cri déchirant, surhumain, cet appel du cœur que les lèvres n’ont pu retenir. C’est Lilian !

Ce diminutif câlin, Lily, le manuscrit de Jud lui a appris qu’il appartenait à sa mère, à la martyre des combinaisons infâmes de Frey.

Et elle est chez le meurtrier… Et elle est en présence d’une Lily qui a l’apparence de la démence. Horreur et joie tragiques, l’enfant est en face de sa mère !

Elle n’a pu arrêter l’appel de tout son être :

— Lily !

Et puis la pensée du meurtrier qui est là, qui écoute, l’a étreinte. Est-ce qu’elle va rendre inutile le long dévouement d’Allan ? Est-ce qu’elle va se livrer, livrer la mère enfin comme aux coups de l’ennemi ? Non. Elle est courageuse. Ce n’est pas en vain qu’elle a vécu la vie de Jud. Elle arrête les palpitations éperdues de son cœur ; elle efface toute trace d’émotion de son visage, et elle parvient à dire, avec un flegme qui écarterait tout soupçon :

— Lily ! je vous demande pardon ; ce nom enfantin appliqué à une personne âgée, m’a paru singulier.

L’excuse est banale. Elle apparaît telle à tous les assistants, la démente exceptée.

Celle-ci semble trouver un charme étrange au son de la voix de Lilian. Elle se glisse auprès de la jeune fille, saisit une de ses mains et la caresse doucement.

— Cette pauvre femme est privée de raison, explique le marquis.

Lilian incline seulement la tête.