Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/346

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je remets le titre de comte de Rochegaule. Je l’ai reçu pur de mes aïeux ;… porté par toi, je ne crains pas de le voir déchoir.

— Mais je suis l’aîné,… protesta le vicomte.

Le moribond lui lança un regard foudroyant :

— En présence de la famille assemblée, selon l’usage de la noblesse, je vous raye du nombre des alliés aux Rochegaule.

— Oh ! fit sourdement le gentilhomme en serrant les poings.

— Mais, poursuivit le comte… Un Rochegaule ne reprend point ce qu’il a donné. Vous conserverez la vicomté d’Artin. Seulement celle-ci sort de ma maison, la merlette qui la représente dans nos armes, sera effacée de notre blason. Vous entendez, comte Espérat de Rochegaule.

— Oui, Monsieur.

— C’est bien. Et maintenant enfant, viens embrasser ton père.

À cet appel, Milhuitcent fit un pas en avant, mais se ravisant soudain, il enlaça Lucile, Henry, et debout entre ces deux victimes qu’il semblait soutenir, il adressa au mourant un regard suppliant.

Quelque chose comme un sourire passa sur la physionomie du comte :

— Je te comprends, mon fils… Tu les aimes, donc ils ne sont pas coupables… Qu’ils approchent aussi.

Les trois jeunes gens, avec une exclamation de tendre reconnaissance, coururent au lit, s’agenouillèrent, et les mains tremblantes du vieillard se levèrent sur leurs têtes inclinées.

Puis avec une sorte de hâte le comte reprit :

— Debout, comte de Rochegaule… apporte ton front à mes lèvres.

Espérât obéit cette fois. Le mourant donna un long baiser à ce fils retrouvé.

— Le premier, murmura-t-il,… le premier et le dernier.

Puis s’écartant un peu de la tête chère :

— Souviens-toi… de notre devise : Dieu… France… Honneur.

Le jeune homme répondit :

— Dieu, France, Honneur ! Oui, père.

Comme s’il n’avait attendu que ces paroles, le comte eut un frémissement ; ses yeux se voilèrent, et il se renversa doucement en arrière en répétant :

— Dieu !