Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/348

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Le vicomte d’Artin parut sur le seuil.

— Vous ne vous attendiez pas à ma visite, commença-t-il du ton légèrement hésitant de l’homme qui entame une conversation difficile ?

Mais, à sa grande surprise, Lucile répliqua paisiblement :

— Vous vous trompez… je vous attendais…

— Vous me faisiez cet honneur…

— À ce point que je m’étonnais de votre peu d’empressement.

Quelle que fût son assurance, le gentilhomme ne trouva rien à répondre.

— Sans doute, reprit Lucile sans paraître remarquer son embarras. Vous m’avez permis, ce dont je vous remercie, de rendre les derniers devoirs à mon père.

— À notre père, rectifia son interlocuteur.

Elle ne releva pas l’interruption et continua de même que s’il n’eût point parlé :

— Maintenant il dort sous la terre, ayant accompli jusqu’à la fin le devoir du Français et du soldat. Rien ne me retient plus dans cette ville, et je pense que vous devez avoir hâte de me conduire vers celui dont je porte le nom.

La surprise de d’Artin devint de l’ébahissement :

— Quoi ?… Vous désirez rejoindre Enrik Bilmsen ?

— N’était-ce point de la convenance de cette démarche que vous veniez m’entretenir ?

— Si, je dois l’avouer.

— En ce cas, je vais au-devant de vos désirs ?

— Je le reconnais.

— Profitez donc de mes bonnes dispositions, sans vous enquérir de mes sentiments ni des mobiles qui me font agir.

Du coup, le vicomte retrouva toute sa belle humeur.

— Oh ! dit-il, je ne suis pas curieux, moi… Je me suis offert à veiller sur vous, lors du départ de ce digne Enrik, et aussi à vous accompagner pendant la route. Vous rendez ma tâche aisée ; je vous en exprime ma gratitude et n’ai pas besoin d’en savoir davantage.

Mais la malignité du gentilhomme ne lui permettait pas de renoncer au persiflage.

Aussi il continua :

— Après tout, votre conduite me paraît sage. Enrik Bilmsen est un excellent garçon, pétri de la meilleure pâte à maris… et je crois ne pas me tromper en affirmant qu’avant peu vous ferez bon ménage.