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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

tout d’un coup dans son lit, les couvertures par-dessus la tête.

Sur le seuil, elle avait aperçu une forme blanche, ressemblant à s’y méprendre aux « revenants », personnages mal définis, généralement vêtus de blanc, qui résident dans les innombrables légendes que les Allemands rêveurs ressassent entre la chope et la choucroute.

Un revenant en plein jour ! C’était invraisemblable ; mais l’effroi d’une faible femme, pesât-elle cent kilos, ne raisonne pas.

Sous ses couvertures, à demi étouffée, Flugelle poussait des grognements terrifiés. Le spectre avait dû entrer, s’approcher du lit… car ses mains, ses mains de spectre, quelle horreur ! tiraient les draps.

Une secousse plus forte se produisit ; la digne épouse du gouverneur sentit que le fantôme avait plus de biceps qu’elle-même, les couvertures glissèrent ; sa face congestionnée éprouva le rafraîchissement de l’air libre.

Elle se crut perdue, morte… ou pis encore, et ferma les yeux pour ne pas se voir emportée vers les abîmes infernaux, par ce revenant inconnu, soudainement entré dans sa vie.

Mais, ô surprise ! ses oreilles, qu’elle n’avait point condamnées, entendaient ! Et elles entendirent une voix, agrémentée d’un suave accent allemand, qui susurrait :

Fraü, n’ayez pas de peur… si votre fidèle Gertrude n’a pas répondu de suite, c’est qu’on lui a fait une mauvaise farce… On lui a volé ses vêtements.

Quel soupir de soulagement !

Le fantôme était allemand, il avait l’organe de la fille de chambre, et on lui avait dérobé ses ajustements !

Flugelle ouvrit les yeux.

Mais oui, c’était bien Graübé, enveloppée dans un drap de lit ; chose toute naturelle, puisque la servante n’avait plus retrouvé ses jupes, corsage, chaussures… envolés comme les parures de ses maîtres, comme le mobilier, comme tout.

La brave Graübé levait d’ailleurs les bras au ciel :

— Ah ! on a tout pris aussi chez Fraü von Lap.

— Mais par les démons du Schwartzwald, l’hôtel du gouvernement a donc été dévalisé de fond en comble ?