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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

La jeune Russe eut une sourde exclamation. Sara la reconnaissait !

Et tremblante, incapable de prononcer une parole, elle s’approcha du lit, prit la main amaigrie de celle qui se relevait d’entre les morts pour souffrir plus longtemps, et la serra doucement.

— Mona ! répéta la petite duchesse, Mona !

Elle disait cela d’une voix d’enfant, monotone et lasse.

— Oui. Sara, c’est moi, murmura tendrement la jeune fille.

Mme de la Roche-Sonnaille approuva d’un petit mouvement de la tête ; mais son visage prit soudain une expression d’inquiétude :

— Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi m’a-t-on amenée ici ?

Un tremblement secoua tout l’être de la fille du général Labianov… Il lui sembla qu’un froid glacial courait en ses veines.

L’heure prévue par le médecin était arrivée. Il allait falloir mentir à l’infortunée, encore courbée vers la tombe, et l’âme en deuil, le cœur saignant, affecter la joie, chanter l’avenir ensoleillé. Veuve désespérée, il fallait exprimer les divins espoirs de la fiancée.

Et brusquement, elle mesurait l’étendue du sacrifice, le raffinement de la torture.

M. Maulenc la vit chanceler. Il comprit l’angoisse surhumaine de la pauvre enfant, et vite il prit la parole :

— Je vous présente votre docteur, madame.

— Mon docteur ?

— Oui, vous avez été malade, très malade… Maintenant il faut reprendre des forces, voilà tout… Ah ! M. de la Roche-Sonnaille va être bien heureux.

— Lucien !

D’un mouvement saccadé, Sara s’était soulevée sur le coude. De ses yeux, agrandis par l’amaigrissement du visage, elle semblait regarder au fond de la pensée de son interlocuteur.

— Lucien, dit-elle lentement… Appelez-le, je veux le voir.

— Impossible.

— Pourquoi ?

Un frémissement tintait dans la voix de la jeune femme.