Page:Ivoi - Le Message du Mikado.djvu/45

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Elle était mince, nerveuse ; ses yeux vifs, son allure preste, justifiaient le sobriquet que lui appliquait familièrement son cousin Tibérade.

« Emmie, petite souris. »

Cousins, ils l’étaient.

Le brave garçon, qui, en dépit de trois doctorats, vivait une vie si difficile, n’avait pas hésité, deux ans auparavant, à recueillir sa mignonne parente devenue orpheline.

Il avait été pour elle un père, ou mieux un frère aîné, tâchant de lui épargner les duretés de l’existence, n’y réussissant pas toujours, ce dont il se lamentait, ce dont la gamine, elle, s’amusait avec l’heureuse insouciance faisant le fond de son caractère.

Un instant, le silence régna dans la petite chambre meublée pauvrement, mais si proprette que l’on comprenait de suite qu’ici logeaient des vaillants, auxquels la pauvreté ne communiquait pas le découragement.

— Enfin, reprit la fillette, un louis en quatre jours c’est peut-être beaucoup ; mais nous avons eu des dépenses exceptionnelles : un franc quatre-vingt-quinze à la teinturière pour ma casaque ; un franc vingt-cinq de ruban pour rafraîchir mon chapeau et deux francs quinze pour le stoppage de ta jaquette déchirée. Total : cinq francs trente-cinq à la toilette. Reste quatorze francs soixante-quinze de nourriture, soit à peu près trois francs soixante-quinze par jour. C’est là un bilan qui n’admet pas de critique. Mon honneur de ménagère est sauf.

— Je ne critique pas la ménagère, murmura Tibérade avec un sourire mélancolique ; seulement le dîner de ce soir m’apparaît problématique.

— Bah ! le pain et le fromage, c’est ce que je préfère ; et, cela, on pourra le trouver à crédit.

Toute la confiance de la petite Parisienne vibrait dans ces paroles. Il secoua la tête.

— C’est égal, la guigne s’acharne après moi. Si j’ai un emploi, la maison tombe en déconfiture. C’est-à-dire que j’ai le mauvais œil, comme disent les Napolitains.