Page:Ivoi - Le Radium qui tue.djvu/355

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empressement justifié probablement par la soif qu’il avait avouée, il se prit à appeler le moujik, tenancier de la buvette, lequel cependant se tenait déjà devant lui, son bonnet à la main.

— Du vodki, et vite ! Le meilleur.

L’homme eut un large rire.

— Du meilleur ! Votre Excellence en aura sûrement, car j’en tiens une seule qualité.

— Eh bien, donne-nous celle-là, consentit Fann en riant d’une façon aussi abandonnée que si aucune préoccupation ne l’avait tenu.

Au surplus, à présent, il exprimait ses regrets d’avoir imposé à l’officier une halte en si piteux endroit.

— Mais bouche altérée n’a point d’yeux, expliquait-il, parodiant un dicton célèbre. J’aurais sollicité un breuvage dans la plus misérable habitation de moujik.

L’officier riait, amusé par ce qu’il appelait la nervosité de cet excellent M. Dick Fann.

Il manifesta d’ailleurs un empressement égal à continuer la promenade.

Et l’on repartit, laissant l’aubergiste ébahi des façons de ces Excellences qui payaient un rouble un verre d’eau-de-vie dont les charretiers, clients habituels de l’établissement, donnaient difficilement deux kopecks.

— Ah ! conclut gravement le digne débitant, on voit bien que le Petit Père paie généreusement ses soldats.

Cependant, la petite troupe trottait sur la route. Depuis la sortie du bourg de Podolskii c’était toujours le même aspect. La piste à la terre noirâtre longeant le lac Baïkal, où les glaçons, entraînés par d’invisibles courants, se heurtaient, se chevauchaient, s’entre-choquaient avec fracas. De l’autre côté de la voie, des champs s’étendaient plats, sans un mouvement jusqu’aux collines lointaines, jetées comme un large collier autour de l’étendue d’eau. Des arbres rabougris, des sapins au feuillage de deuil, des mousses s’étalant en plaques irrégulières sur le sol ainsi qu’une moisissure, une buée jaunâtre répandue sur le tout, constituaient un paysage d’une tristesse insoupçonnée.

La Sibérie est belle sous la blancheur des neiges, elle sourit alors que les premières chaleurs font éclater les bourgeons ; mais en cette saison intermé-