Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/259

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— Pied à terre, Messieurs, ordonne le résident.

Et, tout en aidant les Européens à descendre de voiture, il explique :

— À partir de ce point, nul véhicule, nul coursier, ne doit circuler dans le Kraton. La peine de mort serait appliquée à quiconque enfreindrait cette défense.

Albin et Gavrelotten s’inclinent.

Le premier empoigne le bras de Morlaix ; le second se cramponne à celui de Fleck, et processionnellement, à l’ombre de parasols verts que soutiennent des rajahs à kriss et à casques d’or, juponnés d’écarlate, les jeunes gens déambulent au milieu des princes, des seigneurs, des serviteurs du palais.

Ah ! c’est un véritable voyage que de parcourir cette cité du Sultan, interdite au peuple.

Douze cours intérieures, entourées de magnifiques terrasses, se succèdent. Un portique aux tons vifs, aux ornements luxueux, les relie l’une à l’autre, mais chaque portique est gardé par un piquet de soldats, la lance à la main, la jupe nouée aux reins, le turban noir et or sur le crâne.

Inlassable, l’orchestre indigène poursuit son charivari, que domine, strident, aigu, déchirant, le son de la flûte de bambou. Ah ! ce bois creux, long de deux mètres, quel tortionnaire du tympan !

Sur des socles de marbre, des monstres de bronze se figent en attitudes bizarres. Plus loin, ce sont des vases antiques, dont chacun représente une fortune et ces chefs-d’œuvre d’un art éteint se montrent autour de vieux canons servis par des artilleurs grotesques, travestis à l’aide de défroques (comment sont-elles venues échouer ici ?) d’hommes d’armes du quatorzième siècle.

Attention !

Albin et ses compagnons sursautent.

Les exécutants, par un effort désespéré, viennent de tirer de leurs instruments le maximum de son réalisable ?

Sifflements éperdus des flûtes, roulement des tympanons, vibrations des cuivres, grincement des archets, tout cela ébranle l’atmosphère d’un flot sonore extravagant. On croirait un raz de marée musical ; les bruits de la ville, du palais, sont étouffés, submergés, sous cette masse de sons aussi formidables que peu harmonieuse. Qu’est-ce donc ?