Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/360

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alternativement sur trois points : la redoute de Mariveles, résidence de Daalia ; le pic de Bagac, que naguère lui-même avait désigné à la jeune fille ; puis, les forêts qu’il avait traversées pour gagner Manille.

Peut-être son regard exercé discernait-il, dans le manteau sombre dont les taillis couvraient les crêtes, des détails invisibles au vulgaire.

Le matelot fumait sa cigarette, s’interrompant, soit pour la manœuvre de sa voile, soit pour fredonner une chanson philippine, une de ces chansons que les oppresseurs d’une race ne peuvent atteindre, car la rébellion se cache sous un calembour. L’homme chantait :

De Manille est mon chapeau.
Et je m’appelle : Felipe (Philippe, Philippin).
Aucun nom n’est aussi beau.
Mon maître, el señor Principe,
M’offre des piastres, une pipe.
Pour choisir comme parrain
Un autre saint.
Je lui dis : Gardez l’or et la pipe,
Je n’aime que saint Felipe !

Dans leur lutte incessante pour l’indépendance, que de Philippins sont morts, cette chanson aux lèvres ! Que de sang a été versé au nom de saint Philippe, ce saint national des Philippins !

À tout autre moment, Antonio eût uni sa voix à celle du batelier. Mais, à cet instant, il avait autre chose à faire.

Après s’être assuré que son compagnon ne s’occupait aucunement de lui, il tira de sa poche la lettre à lui remise par Moralès.

— Inutile et dangereuse, murmura-t-il. Elle doit disparaître.

Lentement, méthodiquement, il la déchira par morceaux menus, qu’un à un, il confia à la mer.

Quelques minutes, les légers fragments de papier surnageaient ; puis, pénétrés par l’eau, ils s’enfonçaient peu à peu, enfouissant dans les profondeurs de la baie le secret de la correspondance du chef insurgé.

À Orion, le mulâtre prit rendez-vous pour le lendemain avec le marin, lui remit quelques pièces de monnaie, puis se sépara de lui.