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MISS MOUSQUETERR.

— Oui, oui, on le contraindra. Mais il ne faut pas perdre de temps. Emmène-moi, toi, ma sœur, toi qui me suis vers la clarté.

Et la duchesse tendrement, avec des précautions maternelles, coiffa sa compagne, répara le désordre de sa toilette.

La folle n’avait pas un mouvement de résistance. Elle se laissait faire, un mystérieux sourire sur les lèvres, telle une de ces divinités étranges que les Hindous ou les Kmers d’autrefois taillèrent dans le marbre et le porphyre. Ses lèvres s’agitaient, chuchotant, des paroles incompréhensibles sauf pour l’entendement de sa folie.

— Le jour, bonté ; les esprits de nuit, chauves-souris sombres, vos ailes cotonneuses ne cachent l’étoile qu’un moment.

Elle fut bientôt prête.

— En route, prononça la duchesse.

Et la jeune fille redit :

— En route.

Mais elle s’arrêta, une inquiétude dans le regard. Mme  de la Roche-Sonnaille, ou Jean Laroche, nom qu’elle, se donnait sous son déguisement masculin, devina ce qui troublait la blonde vierge Slave. Elle dit à mi-voix :

— L’arc-en-ciel est, dans la voiture.

La bizarre affirmation calma l’insensée qui se laissa entraîner au dehors. Les deux voyageuses gagnèrent le bâtiment principal, devant lequel attendait une tarentass attelée de trois superbes chevaux de l’Ukraine, le postillon déjà sur son siège.

Nicolas Petrovitch, le smotritiel et plusieurs iamstchiks se tenaient devant le seuil. Ils saluèrent les jeunes femmes avec un respect évident. Sans nul doute, des personnes, que protégeait la révolution, leur semblaient dignes d’une considération de première classe.

Tandis qu’elles prenaient place dans le véhicule, ayant à leurs pieds la caisse que Pavel avait signalée à Max Soleil, ces curieux demeurèrent tête nue.

Sara, voulant leur remettre le pourboire, qui tient une si grande place dans les relations en Russie, tous refusèrent.

— La révolution nous récompensera.

Aussitôt le postillon lança son cri de départ :

— Hue ! mes colombes !

Et la tarentass partit, tandis que les moujicks clamaient en chœur :

— Que les saints Anges vous aient en garde !