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UN ENFER SCIENTIFIQUE.

— Maintenant, reprit la blonde Slave, si je ne m’abuse, Monsieur San, vous alliez nous expliquer pourquoi le duc Lucien et M. Dodekhan, que l’écran du docteur Rodel nous montra renversés, sous le poignard de vos serviteurs, ont échappé au trépas.

— Ils n’ont pas échappé, interrompit l’Asiate d’une voix rauque, je les ai graciés.

— Graciés, vous ?

— Oh ! temporairement, voilà tout, et je l’ai regretté jusqu’à l’instant où j’ai pénétré dans cette cabane, où vous voyant endormis, sans défense, absolument en mon pouvoir, j’ai compris.

Sa phrase se suspendit brusquement.

— Mais, procédons par ordre. Vous entendrez tout à l’heure pourquoi vous avez chassé mes regrets.

Et ricanant :

— Donc, vous disiez bien ; mes serviteurs tenaient vos amis renversés sur le sol. Une seconde encore, et les poignards vengeaient le maître Log, traîtreusement frappé par ce duc maudit. Alors, une pensée traversa mon cerveau ; une lueur d’éclair… S’ils meurent, il n’y a plus de Drapeau Bleu.

— Plus de Drapeau Bleu, clamèrent les captifs d’une seule voix.

San les couvrit d’un regard sombre, puis, haussant les épaules :

— Je vous tiens à présent, je puis ne rien cacher. Non, il n’y avait plus de Drapeau Bleu. Log, lui, était un vaste esprit ; lieutenant de Dodekhan, il avait pu lui succéder sans à-coup, parce qu’il avait percé à jour le réseau des signes, des secrets ; il avait la science qui conçoit toutes les applications scientifiques ; l’éloquence qui entraîne les foules ; il était né chef et maître.

Avec une mélancolie dont on ne l’eût pas cru capable, l’athlète jaune poursuivit, la voix abaissée :

— Moi, je ne suis que le serviteur fidèle, le bras qui exécute la pensée du maître. L’instruction, l’intelligence me manquent. Les secrets passaient à travers mon crâne, comme sable dans un crible. Le Réduit Central où une machinerie compliquée permettait au chef de correspondre, sans bouger de son fauteuil, avec l’Asie entière, de jeter des ordres aux points les plus éloignés du continent… Ce réduit m’apparaissait à moi comme une demeure magique. Pas assez de science pour évaluer cette création de la science ! L’ignorant juge impossible ce que son cerveau étroit ne s’explique pas. Je n’avais même pas cette ressource. J’avais vu, de mes yeux vu, la possibilité de l’incroyable, de l’invraisemblable. Le Réduit Central me faisait peur.