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LES GUATUSOS.

debout. Secoués comme une salade en son panier, ils s’étaient assis à la turque, loin des meubles chancelants ou renversés. Un bruit rapproché de vaisselle cassée se mariait avec un lointain grondement de foule affolée. Le seul serviteur resté dévoué, l’Indien Agostin, entra à ce moment et trouva toute la société présidentielle accroupie.

— Excellence, dit-il, ne reste pas une minute de plus dans ce palais, qui va s’écrouler.

— Sortir d’ici ! s’écria Armand, mais je ne demande pas mieux !… Seulement la garde du général Zelaya va m’en empêcher.

— La garde s’est dispersée et le général est loin… Nous connaissons cela, nous autres du pays, les mouvements de la terre vont augmenter en nombre et en durée !… Regarde, tout le monde fuit et court, les volcans fument plus que jamais… c’est un tremblement de terre plus fort peut-être que les trois derniers !

Avec une promptitude que l’on comprend, nos trois voyageurs s’enfuirent, laissant là la capitale San José et la présidence de Costa-Rica. Agostin avait sellé les mules, amarré la caisse de biscuits, don national. Chacun armé et équipé en quelques secondes, avait sauté sur les montures… et la petite caravane prit du large, guidée par l’Indien. Il avait eu raison, ce fils de la terre américaine ; le palais s’écroula derrière eux avec un effroyable fracas.

Bêtes et gens avaient perdu la tête. Les mules dressaient les oreilles devant ce danger qu’elles ne voyaient point et dont leur seul instinct les avertissait. La catastrophe fut si soudaine que nul, dans le péril général, ne s’aperçut du départ du président ; on ne s’occupait que des colères de la nature. L’homme en pareil cas se fait petit et plus d’un brave tremble.

Après deux heures d’un galop effréné, ayant sauté par-dessus des crevasses nouvelles, franchi des torrents devenus des routes desséchées et des chemins transformés en torrents, reconnaissant à peine le paysage bouleversé par ce rapide changement à vue, Agostin fit ralentir l’allure échevelée que l’on gardait depuis San José. Il était évident que l’on était sorti de la zone où se produisait le bouleversement cosmique. On pouvait respirer un peu et se rendre compte de la situation. Pour se reconnaître, Armand ne pouvait compter que sur l’expérience d’Agostin.

— Dans quelle direction marchons-nous ? lui demanda-t-il.

— Au Sud-Est, pour tourner le dos aux volcans.

— C’est-à-dire que nous nous dirigeons vers l’Atlantique.

— Oui, vers notre océan à nous, la mer Indienne.