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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Où donc est Agostin, demanda-t-il ?

— Je ne sais, fit l’anglais, nous ne l’avons pas aperçu ce matin.

Arnaud secoua la tête et murmura :

— J’aurais du m’en douter.

Ce fut tout. Il comprenait que l’indien, étranger aux intérêts en jeu, avait songé à se mettre en sûreté en abandonnant ses amis d’un jour. Au surplus, Agostin s’était montré prudent mais non pas traître ; il avait soigneusement laissé, bien en vue, son fusil et ses cartouches.

— En résumé, conclut le jeune homme, c’est un mauvais soldat de moins à nourrir. Nous prolongerons la défense de la place.

Sur ces mots, les trois amis se résignèrent à se passer du fugitif. Certains de n’avoir plus à compter que sur eux-mêmes, ils puisèrent dans cette conviction une nouvelle énergie. À partir de ce moment, ils se rationneraient : une des mules fut mise en liberté comme bouche inutile.

La bête, du reste, n’abusa pas de sa situation. Lâchée hors du rancho, elle resta presque tout le jour à brouter sur les flancs du coteau. Vers le soir, un Guatuso la prit au lasso. Du rancho, on entendit les cris de joie qui s’élevaient du campement indien.

Les vingt-quatre heures données par don José finissaient. Un assaut était donc à craindre. Aussi, pour la nuit, on modifia la tactique habituelle. Deux défenseurs dormiraient pendant qu’un seul veillerait. La faction ne durerait qu’une heure. De la sorte, chacun avait deux heures de sommeil sur trois.

Au matin, les Guatusos avaient encore rapproché leurs vedettes. Lavarède put en abattre une avec le fusil d’Agostin.

Le 7 juillet se passa, lent, interminable ; mais la patience manque à ces gens habitués aux rapides coups de main. Le lendemain, leur intention d’en finir apparut clairement. Ils commencèrent à tirer sur le rancho, des qu’une tête se montrait. Cependant, aucun de leurs projectiles n’atteignit les Européens.

Une fois encore les Guatusos modifièrent leur tactique, la nuit ils creusèrent des trous dans le flanc de l’escarpement et se terrèrent. Lavarède se fâcha.

— Ils établissent leur tranchée indienne, dit-il. Invisibles, ils arriveront jusqu’à nous sans perdre un homme. Il faut à tout prix les obliger à se montrer, les mules vont nous servir.

Les bêtes étaient entravées près de la montagne, dans une sorte de patio abrité.