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LES GUATUSOS.

Il les amena devant et les attacha de façon que la longe leur permettait d’atteindre les embrasures naturelles formées par les ruines. Instinctivement, les animaux y passaient la tête, pour humer le grand air et regarder dans l’espace. Les assiégeants se prirent à ce stratagème et, sur ces cibles nouvelles, ouvrirent le feu. Un mulet fut blessé à la tête et au garrot. Mais afin de pouvoir tirer, les Indiens s’étaient assez découverts pour signaler leurs cachettes. Murlyton et Armand firent coup double.

Miss Aurett, qui lorgnait attentivement, vit deux Guatusos dévaler la montagne ; l’un d’eux ne bougea plus, l’autre fut emporté par ses camarades. Furieux, les ennemis se réunissaient en bas du mamelon. À leurs gestes désordonnés, aux cris de fureur dont l’écho montait jusqu’au rancho, Armand devina que l’assaut était proche.

— Monsieur Lavarède, dit miss Aurett, vous voyez que je suis très calme… Confiez-moi donc votre revolver, vous prendrez le fusil d’Agostin. J’ai tiré à la cible, et vous le verrez, je ne suis pas maladroite.

— Quand on a atteint la cible, on peut bien abattre un Guatuso.

Murlyton, toujours placide, appuya en ces termes la proposition de sa fille ; et Lavarède, plus ému qu’eux, plaça sa vaillante compagnie du mieux qu’il était possible, la mule Matagna lui faisant un rempart de son corps. L’Anglaise imitait sans s’en douter la manœuvre de cavalerie cosaque, qui consiste a couvrir le cavalier de sa monture, derrière laquelle, bien abrité, il tire à l’aise.

À peine ces préparatifs étaient-ils terminés qu’un hurlement retentit. Les Guatusos montaient en groupe compact vers le fortin improvisé. En arrière, quelques Indiens, blessés légèrement dans les escarmouches précédentes, formaient une sorte de réserve. Au milieu d’eux, on voyait leur chef et don José, celui-ci reconnaissable à son large sombrero. Ils se tenaient hors de danger, encourageant les autres du geste et de la voix.

Les trois défenseurs attendirent que l’ennemi fut à bonne portée. Alors, ils ouvrirent le feu. Les assaillants chargeant en masse, tout coup portait. En quelques secondes, six cadavres furent couchés sur le sol. Autant de blessés se repliaient sur la réserve.

Les Guatusos battirent en retraite. L’assaut avait été infructueux.

La garnison du rancho avait peu souffert. Murlyton, égratigné au front par une balle, en fut quitte pour s’entourer la tête du mouchoir de sa fille.

Les assaillants, refroidis par la réception vigoureuse des Européens, avaient gagné un petit vallonnement défilé des feux du rancho. Mais le répit accordé aux assiégés ne fut pas de longue durée.