Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/192

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
189
LAVARÈDE DEVIENT « MORT »

mollet un objet plus froid que glace. Son amour-propre, du reste, y trouvait son compte. Ce n’était pas un homme, c’était un esprit qui l’avait renversé…

À cette occasion, on rappela la lutte de Jacob avec l’ange, mais en dépit des citations bibliques et de l’air dégagé qu’affectaient quelques marins, la peur planait sur le navire.


Brusquement il lui passa la jambe.

En passant le quart à leurs remplaçants, les matelots leur firent part de l’incident merveilleux, en l’enjolivant un peu, bien entendu. Les seconds tremblèrent plus fort que les premiers et rapportèrent au poste de l’équipage une nervosité qui gagna les hommes de proche en proche.

Bref, au matin, tandis que Lavarède, un peu inquiet des suites de l’aventure, se tenait coi dans sa caisse capitonnée, il n’était pas un gabier qui, en suivant les couloirs du steamer, ne se sentit mal à l’aise et n’interrogeât d’un regard anxieux les coins noyés d’ombre, avec la crainte de voir se dresser brusquement « l’âme en peine du Heavenway ».

Or, de bonne heure, sir Murlyton et sa fille étaient montés sur le pont. Le capitaine Mathew les avait informés que ce jour-là, 10 août, le steamer traverserait le grand courant du Pacifique, désigné sous le nom de Kuro-Sivo ou fleuve Noir. Appuyés au bastingage, ils écoutaient les explications de l’Américain.

— Le nom de ce courant, disait-il, est parfaitement justifié. Il forme un véritable fleuve dont les eaux ont une teinte plus foncée. Large de huit à neuf kilomètres en moyenne, le Kuro-Sivo se fraie un passage à travers les flots de l’océan. Il est bien le pendant du Gulf-Stream, le courant atlantique.

— Mais, demanda Aurett, a-t-il une température aussi élevée ?