Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
191
LAVARÈDE DEVIENT « MORT »

de Lavarède devenu un revenant pour l’équipage ; mais, comprenant que le jeune homme était sorti de sa cachette pour remplacer ses vivres épuisés, elle éprouvait une sourde inquiétude. Avait-il réussi dans son expédition, et dans ce moment même ne souffrait-il pas de la faim !

Le capitaine se tut un instant. Évidemment il était embarrassé. Les règlements maritimes n’ont pas prévu le cas où un revenant s’introduirait à bord. Que devait-il faire ? La réponse à la question ne vint pas, et plutôt que de rester court, M. Mathew jugea politique d’affecter l’incrédulité la plus complète.

— Monsieur Craigton, dit-il d’un ton goguenard, je ne conçois pas que vous, un officier sérieux, vous vous fassiez l’écho de pareils contes. Veuillez prévenir Fivecreek que s’il lui arrive encore des aventures merveilleuses, je le mettrai aux fers pour calmer son imagination.

Le second s’inclina, mais, tout à coup, il demeura courbé en deux, sans achever le mouvement commencé. Une voix avait prononcé ces paroles :

— M’est avis que le matelot n’a point rêvé. J’ai moi-même été réveillé cette nuit par un grand bruit qui paraissait venir de l’endroit où sont les cercueils.

Tout le monde s’était retourné vers celui qui avait parlé. C’était Bouvreuil. Monté sur le pont depuis quelques minutes, il avait écouté sans être remarqué le rapport du second. L’inquiétude de la jeune Anglaise ne lui avait pas échappé et flairant vaguement une corrélation entre l’aventure du matelot et la disparition de son introuvable « gendre » il s’était mêlé à la conversation. Le capitaine toisa le passager.

— Vous prétendez avoir entendu ?…

— Oui, capitaine, je vous le répète, j’ai été tiré de mon sommeil par un bruit épouvantable.

— Et, questionna le second, avez-vous remarqué à quelle heure le fait s’est produit ?

— Il pouvait être environ minuit.

Craigton hocha la tête.

— C’est bien l’heure indiquée par Fivecreek.

Quant à M. Mathew, il ne riait plus. Point esprit fort du tout, n’ayant qu’une instruction primaire peu supérieure à celle de ses subordonnés, le capitaine, en dehors de son métier qu’il connaissait bien, était ignorant de toutes choses. Rien d’étonnant à ce qu’il partageât les superstitions de ses matelots. Il avait essayé de railler d’abord, mais le témoignage d’un passa-