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DES SANDWICH À LA CÔTE CHINOISE.

rapatriés. Alors, celui qui avait transmis à ces hommes les ordres du Grand-Maître de la Société secrète « Pas d’hypocrisie » se tourna vers l’affilié demeuré auprès de lui — et, doucement :

— Han, dit-il, je t’ai fait rester parce que j’ai besoin de toi pour autre chose encore.

— Ordonnez, répondit simplement son interlocuteur.

D’une voix claire, le chef laissa tomber ces paroles qui firent frissonner la jeune Anglaise dans sa cachette.

— Il faut, après l’escale de Nagasaki, jeter à la mer le cercueil portant le numéro 49.

Han haussa les épaules.

— On l’y jettera.

— Tu ne demandes pas pourquoi ?

— Que m’importe, vous parlez, j’obéis.

— Je veux que tu saches pourtant… Il y a quinze jours, le comité de San Francisco m’avisait qu’un traître mandchou, condamné par le tribunal secret à ne jamais reposer sur la terre chinoise, allait réussir à éluder la sentence, grâce à la diligence de l’administration de la Box-Pacific-Line, et à quitter l’Amérique.

— Eh bien ? interrogea curieusement le nommé Han.

— Je n’ai reçu depuis aucune communication nouvelle. Le cercueil est donc à bord et je dois me conformer aux instructions du comité.

Tout en parlant, il avait pris la lanterne et dirigeait le rayon lumineux sur les cercueils. Chacun, on s’en souvient, était marqué d’une plaque de cuivre gravée, portant un numéro d’ordre.

— Le voici, reprit le chef en s’arrêtant devant la bière de Lavarède ; après-demain dans la nuit, nous le précipiterons dans les eaux du golfe de Petchi-Li.

— Pourquoi pas tout de suite, fit Han, puisque nous sommes ici ?

— Parce que cette caisse flotterait et serait peut-être repêchée par un autre navire. À Nagasaki, je me munirai de saumons de plomb qui entraîneront le corps du Mandchou et sa dernière demeure dans les abîmes de la mer. Comprends-tu ?

— Oui, chef !

— Bien… Allons dormir, et après-demain le traître subira son sort.

— Puissent être ainsi frappés tous ceux qui lui ressemblent, psalmodia le Chinois Han.

— Oui, tous !