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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Lien-Koua !… Lien-Koua !…

Un écho confus répétait ce mot prononcé presque à mi-voix. Un sourd grondement partit de la foule attentive. Aurett n’y prit pas garde. Elle s’était retournée et regardait le bourreau se rapprocher.

Déjà l’homme gravissait les marches de l’estrade. C’était fini. L’heure des séparations violentes sonnait. Elle eut la vision épouvantable du supplice. Un flot de haine pour ceux qui la condamnaient au deuil lui monta au cerveau. Elle saisit le poignard arraché à la panoplie du résident, trancha les courroies de cuir reliant les différentes pièces de la cangue et tendant un revolver au Parisien délivré.

— Au moins, défendons-nous, cria-t-elle.

D’instinct, Armand tira sur le bourreau, qu’il abattit.

Stupéfait de l’acte de sa fille, Murlyton s’arma machinalement, et tous trois parurent menaçants, prêts au combat, dominant le peuple de la hauteur de l’estrade… que les aides épouvantés avaient laissée vide.

Mais, un phénomène étrange se produisit. Une houle agita le peuple ; la ligne des gardiens fut disloquée, un rugissement éclata dans l’air.

— Lien-Koua !…

Lavarède entendit. Il comprit.

— Le Lotus blanc nous sauve !…

Vers le pilori, une foule hurlante se ruait, renversant et tuant soldats et bourreaux. Armand et ses compagnons furent emportés comme par une marée humaine, et ils se trouvèrent, sans savoir comment, à deux pas du ballon du docteur Kasper.

Gonflé, prêt au départ, tendant ses amarres, l’appareil semblait impatient de s’élever. Il invitait à la fuite. D’un bond, Armand fut dans la nacelle, appelant ses compagnons. Ceux-ci le rejoignirent et se mirent avec lui à couper les cordages qui retenaient encore le « dirigeable » au sol.

À ce moment, les réguliers mandchous, revenus de leur surprise et ramenés par leurs mandarins, attaquaient les affiliés du Lotus blanc, formant un rempart vivant aux fugitifs. Ceux-ci pliaient. Lavarède trancha le dernier lien et le ballon s’éleva lentement.

— Sauvés ! s’écria le Parisien.

Mais le mouvement ascensionnel de l’aérostat s’arrêta tout à coup. Les trois passagers s’entre-regardèrent.

— Qu’y a-t-il donc ?

— Encore une amarre sans doute !

Et, se penchant au dehors, Armand tenta de voir ce qui entravait l’essor