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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

Victor Hugo avait bien raison, on trouve toujours quelqu’un qui a vu et qui sait mieux que les autres. Et puis, il y a en tant de records et de courses depuis quelque temps qu’on pouvait confondre ; et Armand y comptait bien un peu.

— Je viens simplement vous demander une botte de paille pour cette nuit, dans un coin d’étable.

— Ça ne se refuse jamais, ça.

— Oh ! je paie toujours mes dépenses ; mais aujourd’hui je suis obligé de faire exception. Profitant de la presse, quand on m’attendait au passage à Lyon, un filou s’est glissé dans le public et m’a fait mon porte-monnaie. Je ne peux plus trouver de subsides qu’à Villefranche, au contrôle de la course à pied. Aussi je me contenterai d’un morceau de pain et d’un verre d’eau.

Demandé sur ce ton, le croûton de pain se transforma en une tranche de lard, une assiettée de choux et même… un délicieux petit fromage de chèvre du pays, le tout arrosé d’un franc vin clairet.

Le fermier et son fils avaient repris leur discussion. Ils parlaient du marché de Tonnerre, dans l’Yonne. Jean, le fils de l’agriculteur, devait y mener quatorze chevaux. Deux wagons complets.

— Je les embarquerai au chemin de fer, à 3 h. 42 du matin, et je prendrai place dans l’un des véhicules.

Sept chevaux et un homme, on serait à l’aise.

Mais il prétendait qu’un garçon de ferme lui serait indispensable pour conduire les bêtes à la gare, tandis que le père soutenait qu’il n’avait besoin de personne.

— Voulez-vous que je vous mette d’accord, dit Lavarède entre deux bouchées ?

— Allez-y.

— J’accompagnerai monsieur Jean. Cela me fera commencer mon étape de bonne heure, et me procurera le plaisir de vous rendre un léger service en échange de votre hospitalité.

La proposition fut acceptée aussitôt, à la grande joie du Parisien dont le cerveau fertile venait d’imaginer un nouvel expédiant.

Le 21 mars, à trois heures, le jeune homme quittait la ferme. Il guidait un groupe de sept chevaux. Jean menait les sept autres.

Le paysan s’étonna en constatant que son compagnon avait retourné son vêtement, de façon que la doublure fût en dehors. Il lui demanda la cause de ce déguisement. Le journaliste répondit gravement :

— Je n’aime pas attirer l’attention. Je remplis les fonctions de pale-