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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Pourquoi ?…

— Avec vos mauvaises habitudes d’Europe, vous seriez capable de tirer sur des gens.

— Allons, fit Armand en riant, il faudra que je trouve un fusil qui parle tout seul… En route.

Et ayant enfourché Matagna, la mule au trot rapide, Lavarède courut d’une seule traite du rancho aux mines d’or et de quartz, à travers la montagne. Déjà travaillés par Zelaya, des groupes l’attendaient au passage. Ils avaient reconnu la mule d’Hyeronimo et lui firent une ovation.

— Viva le libérateur des peuples !…

— Bon ! voilà que je suis libérateur, pensa Lavarède, il leur faut un petit speech en passant.

Il y a des phrases qui réussissent toujours, il les employa.

— Hyeronimo le Brave est en route pour soulever les peuples de l’Orient du Costa-Rica, leur dit-il en substance… Moi, je soulève les peuples de l’Occident ! Suivez-moi à la Cruz et renversons les tyrans.

Vivan los libres ! répondirent les conjurés.

Lavarède donnait bien une légère entorse à la vérité ; mais les philosophes eux-mêmes reconnaissent qu’il faut quelquefois mentir au peuple… quand c’est pour son bien. Or rien n’encourage les hommes à « se lever contre les tyrans » comme de savoir que d’autres ont commencé.

À chaque hacienda, à chaque rancho devant lequel il passait, quelques partisans se joignaient à sa troupe. À chaque pueblo traversé, la foule grossissait. Parvenu à quelques kilomètres de la Cruz, Lavarède se trouvait à la tête d’un nombre respectable de gens, que sa parole chaude avait enflammés. Ce qui prouve que, s’il est bon de connaître la langue anglaise pour voyager, il n’est pas moins utile de savoir aussi la langue castillane.

Sa petite armée le gênait pourtant un peu, car elle le contraignait à mettre sa monture à l’allure ralentie d’une troupe a pied. Et il avait hâte