Page:Jacques Bainville - Les Dictateurs.djvu/115

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il se sent Corse d’abord. Par bonheur pour lui, sa patrie le repousse, il se retourne vers la France, mais sans amour, prêt à servir aussi bien le Grand Turc (et il songe réellement, par deux fois, à aller réorganiser l’armée du Sultan). Dans sa chambre de lieutenant, il dévore des livres, Rousseau, dont le Contrat social le grise, l’abbé Raynal, les livres techniques du comte de Guibert sur l’artillerie, et aussi les Encyclopédistes, et encore Corneille ou les Latins. On a de lui un petit roman à la mode de l’Héloïse, des discours emphatiques où il oppose aux jouisseurs les jeunes « ambitieux au teint pâle » qui bouleversent le monde. L’ambitieux au teint pâle, c’est lui. Mais il ne faut pas oublier cette passion de lecture et d’écriture : beaucoup de grands hommes, Balzac l’avait admirablement vu, sont d’abord des hommes de lettres. Bonaparte en avait tous les dons, et, par la suite, composant sa vie, l’organisant en légende, il en fera un roman prodigieux, propre à exalter les imaginations.

Une suite d’occasions, saisies sans hâte et d’un instinct presque toujours sûr permettront vite au pâle ambitieux de saisir la Fortune. Tout d’abord, il se trouve associé à la tâche difficile de s’emparer de Toulon insurgé, qui avait fait appel aux Anglais. Le jeune capi-