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Depuis les troubles des Cévennes, on a aussi effrayé les imaginations par l’image de la Bête du Gévaudan, qui n’est autre chose que la sombre hérésie de cette contrée, laquelle produisait les excès des calvinistes, entés sur les abominations des Albigeois.

Des personnes accoutumées aux visions extraordinaires ont vu quelquefois des spectres de bêtes. On sait la petite anecdote de ce malade à qui son médecin disait : — Amendez-vous, car je viens de voir le diable à votre porte. — Sous quelle forme ? demanda le moribond. — Sous celle d’un âne. — Bon, répliqua le malade, vous avez eu peur de votre ombre.

Des doctes croient encore que les animaux, à qui ils n’accordent point d’âme, peuvent revenir, et on cite des spectres de ce genre.

Meyer, professeur à l’université de Halle, dans son Essai sur les apparitions, § 17, dit que les revenants et les spectres ne sont peut-être que les âmes des bêtes, qui, ne pouvant aller ni dans le ciel ni dans les enfers, restent ici errantes et diversement conformées. Pour que cette opinion eût quelque fondement, il faudrait croire, avec les péripatéticiens, que les bêtes ont une âme quelconque ; ce qui n’est pas facile.

Les pythagoriciens sont allés plus loin ; ils ont cru que par la métempsycose les âmes passaient successivement du corps d’un homme dans celui d’un animal.

Le père Bougeant, de la compagnie de Jésus, dans un petit ouvrage plein d’esprit, l’Amusement philosophique sur le langage des bêtes, adopta par plaisanterie un système assez singulier. Il trouve aux bêtes trop d’esprit et de sentiment pour n’avoir pas un âme ; mais il prétend qu’elles sont animées par les démons les moins coupables, qui font pénitence sous cette enveloppe, en attendant le jugement dernier, époque où ils seront renvoyés en une contrée de l’enfer. Ce système est soutenu de la manière la plus ingénieuse : ce n’était qu’un amusement ; on le prit trop au sérieux. L’auteur fut gravement réfuté, et obligé de désavouer publiquement des opinions qu’il n’avait mises au jour que comme un délassement.

Cependant le père Gaston de Pardies, de la même société de Jésus, avait écrit quelque temps auparavant que les bêtes ont une certaine âme[1], et on ne l’avait pas repris. Mais on pensa qu’auprès de quelques esprits l’ingénieux amusement du père Bougeant pouvait faire naître de fausses idées.

Betterave, plante potagère. Le Register de Newark, à l’occasion de la mort d’un jeune homme noyé dans les puits argileux d’Olivier-street, raconte un fait qui s’est passé il y a quelques années au même endroit.

« Un manœuvre allemand travaillait dans un jardin situé près d’un de ces puits. Tout à coup il aperçut une feuille blanche croissant sur une plante de betterave. Les Allemands regardent cette rencontre comme un signe de malheur, et le superstitieux ouvrier en eut l’esprit extrêmement frappé. En rentrant à la maison, il fit part à sa femme du nouveau présage et des sinistres pressentiments qui s’y rattachaient dans son esprit. Celle-ci entraîna aussitôt son mari dans le petit enclos qui entourait leur demeure et lui montra une seconde feuille blanche de betterave qu’elle avait également trouvée dans la matinée. Les deux époux, de plus en plus convaincus qu’un affreux malheur allait fondre sur eux, rentrèrent tout tristes dans leur maison, et dînèrent silencieusement, livrés aux plus sombres pensées.

» Après le repas, l’ouvrier retourna à son travail. Au commencement de la soirée, quelques personnes passant parla remarquèrent des vêtements au bord de l’eau. N’apercevant pas de baigneur, ils supposèrent qu’un malheur était arrivé.

L’eau fut draguée, et l’on retira le corps du malheureux Allemand. On suppose qu’en se baignant il sera tombé dans quelque trou profond, et que, ne sachant pas nager, il y aura trouvé la mort.

» Mais voici le fait le plus curieux de cette singulière histoire. Le malheureux noyé avait une sœur à Brooklyn. Dans l’après-midi de la fatale journée, elle fut frappée tout à coup d’une espèce de sommeil somnambulique ; elle vit son frère lutter contre l’eau qui allait l’engloutir ; elle l’entendit appeler au secours. Quand elle se réveilla, elle avait la figure brûlante et portait les signes de la plus grande terreur. Elle raconta son rêve à son mari ; elle lui dit qu’elle était décidée à aller à Newark s’informer de son frère.

» Son mari tâcha de retenir sa femme, dont l’état d’excitation lui inspirait des inquiétudes. Il lui représenta la folie de prêter ainsi foi à un songe et de s’alarmer sans sujet. Mais rien n’y fit. La sœur partit pour Newark, et elle arriva précisément au moment où le cadavre du pauvre noyé était transporté dans sa demeure. Ses pressentiments, ne l’avaient point trompée ! »

Beurre. On croit dans plusieurs villages empêcher le beurre de se faire en récitant à rebours le psaume Nolite fieri[2]. Bodin ajoute que, par un effet d’antipathie naturelle, on obtient le même résultat en mettant un peu de sucre dans la crème ; et il conte qu’étant à Chelles, en Valois, il vit une chambrière qui voulait faire fouetter un petit laquais, parce qu’il l’avait tellement maléficiée en récitant à rebours le psaume cité, que depuis le matin elle ne pouvait faire son beurre. Le laquais récita alors naturellement le psaume, et le beurre se fit[3].

  1. Dans son Discours de la connaissance des bêtes. Paris, 4 e édition, 1696.
  2. Thiers, Traité des superstitions, t. Ier. Il n’y a pas de psaume Nolite fieri. Ce n’est qu’une division du psaume 34.
  3. Démonomanie des sorciers, liv. II, ch. i.