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Nous ne pouvons faire ici un traité dogmatique sur les démons. Nous devons nous borner à rapporter les opinions bizarres et singulières auxquelles ces êtres maudits ont donné de l’intérêt. Les païens admettaient trois sortes de démons, les bons, les mauvais et les neutres. Mais ils appelaient démon tout esprit. Nous entendons par démon un ange de ténèbres, un esprit mauvais. Presque toutes les traditions font remonter l’existence des démons plus loin que la création de l’homme. La chute des anges a eu lieu en effet auparavant. Parmi les Juifs, Aben-Esra prétend qu’on doit fixer cette chute au second jour de la création. Ménassé Ben-Israël, qui suit la même opinion, ajoute qu’après leur chute, Dieu les plaça dans les nuages et leur donna le pouvoir d’habiter l’air inférieur[1].

Origène et quelques philosophes soutiennent que les bons et les mauvais esprits sont beaucoup plus vieux que notre monde ; qu’il n’est pas probable que Dieu se soit avisé tout d’un coup, il y a seulement six ou sept mille ans[2], de tout créer pour la première fois ; que les anges et les démons étaient restés immortels après la ruine des mondes qui ont précédé le nôtre, etc. Manès, ceux qu’il a copiés et ceux qui ont adopté son système font le diable presque éternel et le regardent comme le principe du mal, ainsi que Dieu est le principe du bien. Quoique faux à l’excès, ce système a encore trop de partisans. Pour nous, nous devons nous en tenir sur les démons au sentiment de l’Église catholique. Dieu avait créé les chœurs des anges. Toute cette milice céleste était pure et non portée au mal. Quelques-uns se laissèrent aller à l’orgueil ; ils osèrent se croire aussi grands que leur Créateur, et entraînèrent dans leur révolte une partie de l’armée des anges. Satan, le premier des séraphins et le plus grand de tous les êtres créés[3], s’était mis à la tête des rebelles. Il jouissait dans le ciel d’une gloire inaltérable et ne reconnaissait d’autre maître que L’Éternel. Une folle ambition causa sa pert ; il voulut régner sur la moitié du ciel, et siéger sur un trône aussi élevé que celui du Créateur. L’archange Michel et les anges restés dans le devoir lui livrèrent combat. Satan fut vaincu et précipité avec tous ceux de son parti[4], loin du ciel, dans un lieu que nous nommons l’enfer ou l’abîme, et que plusieurs opinions placent au centre enflammé de notre globe. Mais les démons habitent aussi l’air, qu’ils remplissent. Nous le lisons dans saint Paul. Saint Prosper les place dans les brouillards. Swinden a voulu démontrer qu’ils logeaient dans le soleil ; d’autres les ont relégués dans la lune. Bornons-nous à savoir qu’ils sont dans les lieux inférieurs, et que Dieu leur permet de tenter les hommes et de les éprouver. Nous connaissons la dure et incontestable histoire du péché originel, réparé, dans ses effets éternels, par la rédemption. Depuis, le pouvoir des démons, resserré dans de plus étroites limites, se borne à un rôle vil et ténébreux qui a produit pourtant de lamentables faits.

On n’a aucune donnée du nombre des démons. Wierus, comme s’il les avait comptés, dit qu’ils se divisent en six mille six cent soixante-six légions, composées chacune de six mille six cents soixante-six anges noirs ; il en réduit ainsi le nombre à quarante-cinq millions, ou à peu près, mais il y en a bien davantage. Il leur donne soixante-douze princes, ducs, marquis ou comtes. Ils ont leur large part dans le mal qui se fait ici-bas, puisque les mauvaises inspirations viennent d’eux seuls.

 
Figure d’un démon
Figure d’un démon
Figure d’un démon.
 

Selon Michel Psellus, les démons se divisent en six grandes sections. Les premiers sont les démons du feu, qui en habitent les régions ; les seconds sont les démons de l’air, qui volent autour de nous et ont le pouvoir d’exciter les orages ; les troisièmes sont les démons de la terre, qui se mêlent avec les hommes et s’occupent de les tenter ; les quatrièmes sont les démons des eaux, qui habitent la mer et les rivières, pour y élever des tempêtes et causer des naufrages ; les cinquièmes sont les démons souterrains, qui préparent les tremblements de terre, soufflent les volcans, font écrouler les puits et tourmentent les mineurs ; les sixièmes sont les démons ténébreux, ainsi nommés parce qu’ils vivent loin du soleil et ne se montrent que peu sur la terre. On ne sait trop où Michel Psellus a trouvé ces détails ; mais c’est dans ce système que les cabalistes ont imaginé les salamandres, qu’ils placent dans les régions du feu ; les sylphes qui remplissent l’air ; les oudins, ou nymphes, qui vivent dans l’eau, et les gnomes, qui sont logés dans l’intérieur de la terre.

Des doctes ont prétendu que les démons multiplient entre eux comme les hommes ; ainsi, leur nombre doit s’accroître, surtout si l’on considère

  1. De resurrectione mortuorum, lib. III, cap. vi.
  2. La version des Septante donne au monde quinze ou dix-huit cents ans de plus que nous. Les Grecs modernes ont suivi ce calcul, et le P. Pezron La un peu réveillé dans l’Antiquité rétablie.
  3. Quique creaturæ præfulsit in ordine primus…
    Alc. Activi poem., lib. II.
  4. Apocalypse, ch. v, vers. 7 et 9.