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légendes ; quelques-uns peuvent être des allégories où par le dragon il faut entendre le démon que les saints ont vaincu. Le diable, en effet, porte souvent le nom d’ancien dragon, et quelquefois il a pris la forme de cet animal merveilleux : c’est ainsi qu’il se montra à sainte Marguerite. On dit que le dragon dont parle Possidonius couvrait un arpent de terre, et qu’il avalait, comme une pilule, un cavalier tout armé ; mais ce n’était encore qu’un petit dragon en comparaison de celui qu’on découvrit dans l’Inde, et qui, suivant Maxime de Tyr, occupait cinq arpents de terrain.

Les Chinois rendent une espèce de culte au dragon. On en voit sur leurs vêtements, dans leurs livres, dans leurs tableaux. Ils le regardent comme le principe de leur bonheur ; ils s’imaginent qu’il dispose des saisons et fait à son gré tomber la pluie et gronder le tonnerre. Ils sont persuadés que tous les biens de la terre ont été confiés à sa garde, et qu’il fait son séjour ordinaire sur les montagnes élevées.

Le dragon était aussi très-important chez nos aïeux ; et tous nos contes de dragons doivent remonter à une haute antiquité. Voici la chronique du dragon de Niort[1]. Un soldat avait été condamné à mort pour crime de désertion ; il apprit qu’à Niort, sa patrie, un énorme dragon faisait depuis trois mois des ravages, et qu’on promettait bonne récompense à celui qui pourrait en délivrer la contrée. Il se présente ; on l’admet à combattre le monstre, et on lui promet sa grâce s’il parvient à le détruire. Couvert d’un masque de verre et armé de toutes pièces, l’intrépide soldat va à l’antre obscur où se tient le monstre ailé, qu’il trouve endormi. Réveillé par une première blessure, il se lève, prend son essor et vole contre l’agresseur. Tous les spectateurs se retirent, lui seul reste et l’attend de pied ferme. Le dragon tombe sur lui et le terrasse de son poids ; mais au moment qu’il ouvre la gueule pour le dévorer, le soldat saisit l’instant de lui enfoncer son poignard dans la gorge. Le monstre tombe à ses pieds. Le brave soldat allait recueillir les fruits de sa victoire, lorsque, poussé par une fatale curiosité, il ôta son masque pour considérer à son aise le redoutable ennemi dont il venait de triompher. Déjà il en avait fait le tour, quand le monstre, blessé mortellement, et nageant dans son sang, recueille des forces qui paraissaient épuisées, s’élance subitement au cou de son vainqueur et lui communique un venin si malfaisant qu’il périt au milieu de son triomphe. — On voyait encore, il y a peu de temps, dans le cimetière de l’hôpital de Niort, un ancien tombeau d’un homme tué par le venin du serpent. Est-ce aussi une allégorie ?

À Mons, on vous contera l’histoire du dragon qui dévastait le Hainaut[2], lorsqu’il fut tué par le vaillant Gilles de Chin, en 1132. Et que direzvous du dragon de Rhodes, qui n’est certainement pas un conte[3] ? Voy. Trou du château de Carnoët.

Dragon rouge. Le dragon rouge, ou l’art de commander les esprits célestes, aériens, terrestres, infernaux, avec le vrai secret de faire parler les morts, de gagner toutes les fois qu’on met aux loteries, de découvrir les trésors cachés, etc., etc., in-18, 1521.

On a réimprimé très-fréquemment ce fatras absurde, dont on trouvera les plus curieuses élucubrations à leur place, dans ce dictionnaire.

Drames. Le théâtre n’a pas négligé les merveilleuses ressources que lui offraient les démons, les follets, les revenants, la magie et les sciences occultes. De nos jours on a fait les Sept châteaux du Diable, les Pilules du Diable, la Part du Diable ; on a même mis en vaudeville les Mémoires du Diable, de M. Soulié. L’Esprit follet, de Collé ; le Spectre, de Séraminis ; celui d’Hamlet ; les Sorcières, de Macbeth ; la Sylphide, le Magicien du Pied de mouton, et une foule d’autres données sont prises, comme Robin des bois, le Chasseur rouge, Trilby, le Vampire, les Wilis, etc., etc., du vaste répertoire de prodiges qui alimentent les livres de démonologie.

Drapé. On donne à Aigues-Mortes le nom de Lou Drapé à un cheval fabuleux, qui est la terreur des enfants, qui les retient un peu sous l’aile de leurs parents, et réprime la négligence des mères. On assure que quand Lou Drapé vient à passer, il ramasse sur son dos, l’un après l’autre, tous les enfants égarés ; et que sa croupe, d’abord de taille ordinaire, s’allonge, au besoin, jusqu’à contenir cinquante et cent enfants qu’il emporte on ne sait où.

Drawcansir, lutin matamore qui, chez les Anglais, gourmande les rois, disperse les armées et sème le désordre partout. C’est probablement ce que les anciens appelaient la terreur panique.

Drépano. L’esprit de Drépano a aussi sa célébrité : il faisait grand bruit, jetait des pierres qui ne blessaient pas, lançait en l’air les ustensiles de ménage sans rien briser, et chantait des chansons scandaleuses, le tout sans se montrer. Quand le maître de la maison où il hantait revenait de quelque course trempé par la pluie, il l’annonçait avant que personne le vît, et pressait la famille d’allumer un grand feu. C’était un

  1. Voyage dans le Finistère, t. III, p. 112.
  2. Voyez cette légende dans Les douze convives du chanoine de Tours.
  3. « Les divers insectes carnivores, vus au microscope, sont des animaux formidables ; ils étaient peut-être ces dragons ailés dont on retrouve les anatomies ; diminués de taille à mesure que la matière diminuait d’énergie, ces hydres, griffons et autres se trouveraient aujourd’hui à l’état d’insectes. Les géants antédiluviens sont les petits hommes d’aujourd’hui. »
    (Chateaubriand, Mémoires, tome II.)