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des doigts, les plus diversifiés sont ceux que nous faisons en écrivant. Le moindre mot jeté sur le papier, combien de points, combien de courbes ne renferme-t-il point !… Il est évident encore, poursuit Lavater, que chaque tableau, que chaque figure détachée, et aux yeux de l’observateur et du connaisseur, chaque trait conservent et rappellent l’idée du peintre. — Que cent peintres, que tous les écoliers d’un même maître dessinent la même figure, que toutes ces copies ressemblent à l’original de la manière la plus frappante, elles n’en auront pas moins chacune un caractère particulier, une teinte et une touche qui les feront distinguer. Si l’on est obligé d’admettre une expression caractéristique pour les ouvrages de peinture, pourquoi voudrait-on qu’elle disparût entièrement dans les dessins et dans les figures que nous traçons sur le papier ? Chacun de nous a son écriture propre, individuelle et inimitable, ou qui du moins ne saurait être contrefaite que très-difficilement et très-imparfaitement. Les exceptions sont en trop petit nombre pour détruire la règle. Cette diversité incontestable des écritures ne serait-elle point fondée sur la différence réelle du caractère moral ?

On objectera que le même homme, qui pour-

tant n’a qu’un seul et même caractère, peut diversifier son écriture. Mais cet homme, malgré son égalité de caractère, agit ou du moins paraît agir souvent de mille manières différentes. De même qu’un esprit doux se livre quelquefois à des emportements, de même aussi la plus belle main se permet dans l’occasion une écriture négligée ; mais alors encore celle-ci aura un caractère tout à fait différent du griffonnage d’un homme qui écrit toujours mal. On reconnaîtra la belle main du premier jusque dans sa plus mauvaise écriture, tandis que l’écriture la plus soignée du second se ressentira toujours de son barbouillage. Cette diversité de l’écriture d’une seule et même personne ne fait que confirmer la thèse ; il résulte de là que la disposition d’esprit où nous nous trouvons influe sur notre écriture. Avec la même encre, avec la même plume et sur le même papier, l’homme façonnera tout autrement son écriture quand il traite une affaire désagréable, ou quand il s’entretient cordialement avec son ami. Chaque nation, chaque pays, chaque ville a son écriture particulière, tout comme ils ont une physionomie et une forme qui leur sont propres[1]. Tous ceux qui ont un commerce de lettres un peu étendu pourront vérifier la justesse de cette remarque. L’observateur intelligent ira plus loin, et il jugera déjà du caractère de son correspondant sur la seule adresse (j’entends l’écriture de l’adresse, car le style fournit des indices plus positifs encore), à peu près comme le titre d’un livre nous fait connaître souvent la tournure d’esprit de l’auteur. Une belle écriture suppose nécessairement une certaine justesse d’esprit, et en particulier l’amour de l’ordre.

  1. Quand Lavater écrivait, on n’avait pas encore introduit l’écriture mécanique, dite écriture anglaise ou américaine.