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Âme. Tous les peuples ont reconnu l’immortalité de l’âme. Les hordes les plus barbares ne l’ont jamais été assez pour se rabaisser jusqu’à la brute. La brute n’est attachée qu’à la terre : l’homme seul élève ses regards vers un plus noble séjour. L’insecte est à sa place dans la nature ; l’homme n’est pas à la sienne.

La conscience, le remords, ce désir de pénétrer dans un avenir inconnu, ce respect que nous portons aux tombeaux, cet effroi de l’autre monde, cette croyance aux âmes qui ne se distingue que dans l’homme, tout nous instruirait déjà quand même la révélation ne serait pas là pour repousser nos doutes. Les matérialistes, qui, voulant tout juger par les yeux du corps, nient l’existence de l’âme parce qu’ils ne la voient point, ne voient pas non plus le sommeil ; ils ne voient pas le vent ; ils ne comprennent pas la lumière, ni l’électricité, ni cent mille autres faits que pourtant ils ne peuvent nier.

On a cherché de tout temps à définir ce que c’est que l’âme, ce rayon, ce souffle de la Divinité. Selon les uns, c’est la conscience, c’est l’esprit ; selon d’autres, c’est cet espoir d’une autre vie qui palpite dans le cœur de tous les hommes. C’est, dit Léon l’Hébreu, le cerveau avec ses deux puissances, le sentiment et le mouvement volontaire. C’est une flamme, a dit un autre. Dicéarque affirme que l’âme est une harmonie et une concordance dès quatre éléments.

Quelques-uns sont allés loin, et ont voulu connaître la figure de l’âme. Un savant a même prétendu, d’après les dires d’un revenant, qu’elle ressemblait à un vase sphérique de verre poli, qui a des yeux de tous les côtés[1].

L’âme, a-t-on dit encore, est comme une vapeur légère et transparente qui conserve la figure humaine. Un docteur talmudique, vivant dans un ermitage avec son fils et quelques amis, vit un jour l’âme d’un de ses compagnons qui se détachait tellement de son corps, qu’elle lui faisait déjà ombre à la tête. Il comprit que son ami allait mourir, et fit tant par ses prières, qu’il obtint que cette pauvre âme rentrât dans le corps qu’elle abandonnait. « Je crois de cette bourde ce qu’il faut en croire, dit Leloyer[2], comme de toutes les autres bourdes et baveries des rabbins. »

Les Juifs se persuadent, au rapport du Hollandais Hoornbeeck, que les âmes ont toutes été créées ensemble, et par paires d’une âme d’homme et d’une âme de femme ; de sorte que les mariages sont heureux et accompagnés de douceur et de paix, lorsqu’on se marie avec l’âme à laquelle on a été accouplé dès le commencement ; mais ils sont malheureux dans le cas contraire. On a à lutter contre ce malheur, ajoute-t-il, jusqu’à ce qu’on puisse être uni, par un second mariage, à l’âme dont on a été fait le pair dans la création ; et cette rencontre est rare.

Philon, Juif qui a écrit aussi sur l’âme, pense que, comme il y a de bons et de mauvais anges, il y a aussi de bonnes et de mauvaises âmes, et que les âmes qui descendent dans les corps y apportent leurs qualités bonnes ou mauvaises. Toutes les innovations dés hérétiques et des philosophes, et toutes les doctrines qui n’ont pas leur base dans les enseignements de l’Église, brillent par de semblables absurdités.

Les musulmans disent que les âmes demeurent jusqu’au jour du jugement dans le tombeau, auprès du corps qu’elles ont animé. Les païens croyaient que les âmes, séparées de leurs corps grossiers et terrestres, conservaient après la mort une forme plus subtile et plus déliée de la figure du corps qu’elles quittaient, mais plus grande et plus majestueuse ; que ces formes étaient lumineuses et de la nature dès astres ; que les âmes gardaient de l’inclination pour les choses qu’elles avaient aimées pendant leur vie, et que souvent elles se montraient autour de leurs tombeaux. Quand l’âme de Patrocle se leva devant Achille, elle avait sa voix, sa taille, ses yeux, ses habits, du moins en apparence, mais non pas son corps palpable.

Origène trouve que ces idées ont une source respectable, et que les âmes doivent avoir en effet une consistance, mais subtile ; il se fonde sur ce qui est dit dans l’évangile de Lazare et du mauvais riche, qui ont tous deux des formes, puisqu’ils se parlent et se voient, et que le mauvais riche demande une goutte d’eau pour rafraîchir sa langue. Saint Irénée, qui est de l’avis d’Origène, conclut du même exemple que les âmes se souviennent après la mort de ce qu’elles ont fait en cette vie.

Dans la harangue que fit Titus à ses soldats pour les engager à monter à l’assaut de la tour Antonia, au siège de Jérusalem, on remarque une opinion qui est à peu près celle des Scandinaves. Vous savez, leur dit-il, que les âmes de

  1. Voyez Gontran, dont l’âme avait l’apparence d’une belette.
  2. Leloyer, Dict. et hist. des spectres, liv. IV, ch. i.