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bles. Un homme laborieux prend-il quelques moments de sommeil, un plaisant vient vous dire que le diable le berce. — Ce qu’il y a de pis, c’est que des gens emploient le nom du diable en bonne part ; ainsi on vous dira d’une chose médiocre : — Ce n’est pas le diable. Un homme fait-il plus qu’on ne demande, on dit qu’il travaille comme le valet du diable. Que l’on voie passer un grenadier de cinq pieds dix pouces, on s’écrie : — Quel grand diable ! D’un homme qui vous étonne par son esprit, par son adresse ou par ses talents, vous dites : — Quel diable d’homme ! On dit encore : Une force de diable, un esprit de diable, un courage de diable ; un homme franc est un bon diable ; un homme qu’on plaint, un pauvre diable ; un homme divertissant a de l’esprit en diable, etc., et une foule de mots semblables. Ce sont de grandes aberrations. »

Un père en colère dit un jour à son fils : — Va-t’en au diable ! Le fils, étant sorti peu après, rencontra le diable, qui l’emmena, et on ne le revit plus[1]. Un autre homme, irrité contre sa fille qui mangeait trop avidement une écuelle de lait, eut l’imprudence de lui dire : — Puisses-tu avaler le diable dans ton ventre ! La jeune fille sentit aussitôt la présence du démon, et elle fut possédée plusieurs mois[2]. Un mari de mauvaise humeur donna sa femme au diable ; au même instant, comme s’il fût sorti de la bouche de l’époux, le démon entra par l’oreille dans le corps de cette pauvre dame[2]. Ces contes vous font rire ; puissent-ils vous corriger !

Un avocat gascon avait recours aux grandes figures pour émouvoir ses juges. Il plaidait au quinzième siècle, dans ces temps où les jugements de Dieu étaient encore en usage. Un jour qu’il défendait la cause d’un Manceau cité en justice pour une somme d’argent dont il niait la dette, comme il n’y avait aucun témoin pour éclaircir l’affaire, les juges déclarèrent qu’on aurait recours à une épreuve judiciaire. L’avocat de la partie adverse, connaissant l’humeur peu belliqueuse du Gascon, demanda que les avocats subissent l’épreuve, aussi bien que leurs clients ; le Gascon n’y consentit qu’à condition que l’épreuve fût à son choix. — La chose se passait au Mans. Le jour venu, l’avocat gascon, ayant longuement réfléchi sur les moyens qu’il avait à prendre pour ne courir aucun péril, s’avança devant les juges et demanda qu’avant de recourir à une plus violente ordalie on lui permît d’abord d’essayer celle-ci, c’est-à-dire qu’il se donnait hautement et fermement au diable, lui et sa partie, s’ils avaient touché l’argent dont ils niaient la dette. Les juges, étonnés de l’audace du Gascon, se persuadèrent là-dessus qu’il était nécessairement fort de son innocence et se disposaient à l’absoudre ; mais auparavant ils ordonnèrent à l’avocat de la partie adverse de prononcer le même dévouement que venait de faire l’avocat gascon. — Il n’en est pas besoin, s’écria aussitôt du fond de la salle une voix rauque.

En même temps on vit paraître un monstre noir, hideux, ayant des cornes au front, des ailes de chauve-souris aux épaules, et avançant les griffes sur l’avocat gascon… Le champion, tremblant, se hâta de révoquer sa parole, en suppliant les juges et les assistants de le tirer des griffes de l’ange des ténèbres. — Je ne céderai, répondit le diable, que quand le crime sera révélé…

Disant ces mots, il s’avança encore sur le plaideur manceau et sur l’avocat gascon… Les deux menteurs, interdits, se hâtèrent d’avouer, l’un, qu’il devait la somme qu’on lui demandait, l’autre, qu’il soutenait sciemment une mauvaise cause. Alors le diable se retira ; mais on sut par la suite que le second avocat, sachant combien le Gascon était peureux, avait été instruit de son idée ; qu’il avait en conséquence affublé son domestique d’un habit noir bizarrement taillé et l’avait équipé d’ailes et de cornes pour découvrir la vérité par ce ministère. Voy. Imprécations.

Jurieu, ministre protestant, né en 1637, mort en 1713. Il prit ses désirs pour des inspirations et se fit prophète. Dans son livre, De l’accomplissement des prophéties, il annonçait en 1685, avec la ferme assurance d’un oracle, que dans cinq ans le calvinisme triompherait par toute la France. Mais 1690 arriva et n’eut pas la complaisance de lui donner raison. Ce qui l’aplatit un peu.


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Kaaba. Ce lieu célèbre à la Mecque, dans l’enceinte du temple ou plutôt de la mosquée, est, dit-on, la maison d’Abraham, bâtie par lui, selon les croyances musulmanes. Le seuil est un bloc de pierre qui a été, disent les Arabes, la statue de Saturne, autrefois élevée sur la Kaaba même, et renversée par un prodige, ainsi que toutes les autres idoles du lieu, au moment de la naissance de Mahomet.

  1. Cæsarii Heisterb. miracul., lib. V, cap. xii.
  2. a et b Ejusdem, cap. ii, ibid.