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presque toujours si ignobles qu’on ne peut mettre sous les yeux d’un lecteur honnête cet enchenillement, comme l’appelle Delancre[1].

Les mariages ont rarement lieu en Russie sans quelque frayeur de ce genre. « J’ai vu un jeune homme, dit un voyageur[2], sortir comme un furieux de la chambre de sa femme, s’arracher les cheveux et crier qu’il était ensorcelé. On eut recours au remède employé chez les Russes, qui est de s’adresser à des magiciennes blanches, lesquelles pour un peu d’argent, rompent le charme et dénouent l’aiguillette ; ce qui était la cause de l’état où je vis ce jeune homme. »

Désaccord.

Nomment de l’aiguillette. — Nous croyons devoir rapporter, comme spécimen des bêtises de l’homme, la stupide formule suivante, qu’on lit au chapitre premier des Admirables secrets du Petit Albert :

« Qu’on prenne la verge d’un loup nouvellement tué ; qu’on aille à la porte de celui qu’on veut lier, et qu’on l’appelle par son propre nom. Aussitôt qu’il aura répondu, on liera la verge avec un lacet de fil blanc, et le pauvre homme sera impuissant aussitôt. »

Ce qui est surprenant, c’est que les gens de village croient à de telles formules, qu’ils les emploient, et qu’on laisse vendre publiquement des livres qui les donnent avec de scandaleux détails.

On trouve dans Ovide et dans Virgile les procédés employés par les noueurs d’aiguillette de leur temps. Ils prenaient une petite figure de cire qu’ils entouraient de rubans ou de cordons ; ils prononçaient sur sa tête des conjurations, en serrant les cordons l’un après l’autre ; ils lui enfonçaient ensuite, à la place du foie, des aiguilles ou des clous, et le charme était achevé.

Bodin assure qu’il y a plus de cinquante moyens de nouer l’aiguillette. Le curé Thiers rapporte avec blâme plusieurs de ces sortes de moyens, qui sont encore usités dans les villages.

Contre l’aiguillette nouée. — On prévient ce maléfice en portant un anneau dans lequel est enchâssé l’œil droit d’une belette ; ou en mettant du sel dans sa poche, ou des sous marqués dans ses souliers, lorsqu’on sort du lit ; ou, selon Pline, en frottant de graisse de loup le seuil et les poteaux de la porte qui ferme la chambre à coucher. — Hincmar de Reims conseille avec raison aux époux qui se croient maléliciés du nouement de l’aiguillette la pratique des sacrements comme un remède efficace ; d’autres ordonnaient le jeûne et l’aumône.

Le Petit Albert conseille contre l’aiguillette nouée de manger un pivert rôti avec du sel bénit, ou de respirer la fumée de la dent d’un mort jetée dans un réchaud. — Dans quelques pays on se flatte de dénouer l’aiguillette en mettant deux chemises à l’envers l’une sur l’autre. Ailleurs, on perce un tonneau de vin blanc, dont on fait passer le premier jet par la bague de la mariée. Ou bien, pendant neuf jours, avant le soleil levé, on écrit sur du parchemin vierge le mot avigazirtor. Il n’y a, comme on voit, aucune extravagance qui n’ait été imaginée.

Voici, avant de finir, un exemple curieux d’une manière peu usitée de nouer l’aiguillette : « Une sorcière, voulant exciter une haine mortelle entre deux futurs époux, écrivit sur deux billets des caractères inconnus et les leur fit porter sur eux. Comme ce charme ne produisait pas assez vite l’effet qu’elle désirait, elle écrivit les mêmes caractères sur du fromage qu’elle leur fit manger ; puis elle prit un poulet noir qu’elle coupa par le milieu, en offrit une partie au diable et leur donna l’autre, dont ils firent leur souper. Cela les anima tellement qu’ils ne pouvaient plus se regarder l’un l’autre. — Y a-t-il rien de si ridicule, ajoute Delancre, persuadé pourtant de la vérité du fait, et peut-on reconnaître en cela quelque chose qui puisse forcer deux personnes qui s’entr’aiment à se haïr à mort ? »

On dit que les sorciers ont coutume d’enterrer des têtes et des peaux de serpents sous le seuil de la porte des mariés, ou dans les coins de leur maison, afin d’y semer la haine et les dissensions. Mais ce ne sont que les marques visibles des conventions qu’ils ont faites avec Satan, lequel est le maître et l’auteur du maléfice de la

  1. L’incrédulité et mécréance, etc., traite VI.
  2. Nouveau voyage vers le septentrion, ch. iii.