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LUN
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Lunæ). Les magiciennes de Thessalie se vantaient d’avoir un grand commerce avec la lune, et de pouvoir, par leurs enchantements, la délivrer du dragon qui voulait la dévorer (lorsqu’elle était éclipsée), ou la faire à leur gré descendre sur la terre.

L’idée que cet astre pouvait être habité a donné lieu à des fictions ingénieuses : telles sont, entre autres, les voyages de Lucien, de Cyrano de Bergerac, et la fable de l’Arioste, qui place dans la lune un vaste magasin rempli de fioles étiquetées, où le bon sens de chaque individu est renfermé. On a publié en 1835, sous le chaperon du savant astronome Herschell, qui sans doute ne soupçonnait pas l’honneur qu’on lui faisait, une plaisante description des habitants de la lune, canard qui venait des États-Unis.

Les Péruviens regardaient la lune comme la sœur et la femme du soleil, et la mère de leurs Incas ; ils l’appelaient mère universelle, et avaient pour elle la plus grande vénération. Cependant ils ne lui avaient point élevé de temple à part et ne lui offraient point de sacrifices. Ils prétendaient que les marques noires qu’on aperçoit dans la lune avaient été faites par un renard qui, ayant monté au ciel, l’avait embrassée si étroitement qu’il lui avait fait ces taches à force de la serrer.

Suivant les Taïtiens, les taches que nous voyons à la lune sont des bosquets d’une espèce d’arbres qui croissaient autrefois à Taïti ; un accident ayant détruit ces arbres, les graines furent portées par des pigeons à la lune, où elles ont prospéré[1].

Les mahométans ont une grande vénération pour la lune ; ils la saluent dès qu’elle paraît, lui présentent leurs bourses ouvertes et la prient d’y faire multiplier les espèces à mesure qu’elle croîtra.

La lune est la divinité des Nicaborins, habitants de Java. Lorsqu’il arrive une éclipse de lune, les Chinois idolâtres, voisins de la Sibérie, poussent des cris et des hurlements horribles, sonnent les cloches, frappent contre du bois ou des chaudrons et touchent à coups redoublés sur les timballes de la grande pagode. Ils croient que le méchant esprit de l’air Arachula attaque la lune, et que leurs clameurs doivent l’effrayer.

Il y a des gens qui prétendent que la lune est douée d’un appétit extraordinaire ; que son estomac, comme celui de l’autruche, digère des pierres. En voyant un bâtiment vermoulu, ils disent que la lune l’a mutilé et qu’elle peut ronger le marbre, ce qui est vrai dans certains climats.

Combien de personnes n’osent couper leurs cheveux dans le décours de la lune ! dit M. Salgues[2]. Mais les médecins sont convenus enfin que la lune influe sur le corps humain, comme sur bien d’autres choses[3].

La plupart des peuples ont cru encore que le lever de la lune était un signal mystérieux auquel les spectres sortaient de leurs tombeaux. Les Orientaux content que les lamies et les gholes déterrent les morts dans les cimetières et font leurs festins au clair de la lune. Dans certains cantons de l’orient de l’Allemagne, on prétendait que les vampires ne commençaient leurs infestations qu’au lever de la lune, et qu’ils étaient obligés de rentrer en terre au chant du coq.

L’idée la plus extraordinaire, adoptée dans quelques villages, c’est que la lune ranimait les vampires. Lorsqu’un de ces spectres, poursuivi dans ses courses nocturnes, était frappé d’une

  1. Voyages de Cook.
  2. Des erreurs et des préjugés, etc., t. I, p. 240.
  3. Ceux qui ont observé les phénomènes que présente le climat des régions intertropicales n’ont pas prêté une assez grande attention à l’influence que la lune y exerce. Si l’on s’accorde à reconnaître que la pression ou l’attraction lunaire agit fortement sur les marées, on ne doit pas craindre d’affirmer que l’atmosphère est soumise à une action semblable. Ce qu’il y a de certain, c’est que, dans les basses terres des régions intertropicales, un observateur attentif de la nature est frappé du pouvoir que la lune exerce sur les saisons aussi bien que sur le règne animal et sur le végétal. À Démérara, il y a chaque année treize printemps et treize automnes ; car il est constaté que la séve des arbres y monte aux branches et redescend aux racines treize fois alternativement.

    Le vallaba, arbre résineux assez commun dans les bois de Démérara, et qui ressemble à l’acajou, fournit un exemple très-curieux en ce genre. Si on le coupe la nuit, quelques jours avant la nouvelle lune, son bois est excellent pour les charpentes et toute espèce de constructions, et la dureté en est telle qu’on ne peut le fendre qu’avec beaucoup de peine, et encore inégalement. Abattez-le pendant la pleine lune, vous le partagez en une infinité de planches aussi minces et aussi droites qu’il vous plait avec la plus grande facilité ; mais alors il ne vaut rien pour les constructions et se détériore bientôt. Faites des pieux avec des bambous de la grosseur du bras ; si vous les avez coupés à la nouvelle lune, ils dureront dix à douze années ; mais si c’est pendant qu’elle était dans son plein, ils seront pourris en moins de deux ans.

    Les effets de la lune sur la vie animale sont prouvés aussi par un grand nombre d’exemples. On a vu en Afrique des animaux nouveau-nés périr en quelques heures auprès de leur mère pour être restés exposés aux rayons de la pleine lune. S’ils en sont frappés, les poissons fraîchement pêches se corrompent, et la viande ne se peut plus conserver, même au moyen du sel.

    Le marinier qui dort sans précaution la nuit sur le tillac, la face tournée vers la lune, est atteint de nyctalopie ou cécité nocturne, et quelquefois sa tête enfle d’une manière prodigieuse. Les paroxysmes des fous redoublent d’une manière effrayante à la nouvelle et à la pleine lune ; les frissons humides de la fièvre intermittente se font sentir au lever de cet astre, dont la douce lueur semble à peine effleurer la terre. Mais, qu’on ne s’y méprenne pas, ses effets sont puissants, et, parmi les agents qui régnent sur l’atmosphère, on peut affirmer qu’elle ne tient pas le dernier rang.

    (Martin’s history of the British colonies.)