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chantée dont les sons attiraient invinciblement les rats. Mais, après ce service rendu, les magistrats d’Hameln refusèrent au magicien le prix convenu. Il s’en vengea, au moyen d’une autre flûte qui, par ses vibrations, entraîna tous les enfants de la ville. On ne les revit plus ; et des documents établissent qu’ils furent transportés en Transylvanie. Des monuments appuient ce trait d’histoire[1], dont Gustave Nieritz a fait un conte de fantaisie[2].

Mouchemberg, dans la suite de l’Argenis, va plus loin. Il raconte les aventures bizarres du magicien Lexilis. Ce magicien ayant été mis en prison par ordre du souverain de Tunis (le fait a eu lieu quelque temps avant la splendeur de Rome), il arriva dans ces entrefaites une chose étrange au fils du geôlier de la prison où Lexilis était détenu. Ce jeune homme venait de se marier, et les parents célébraient les noces hors de la ville. Le soir venu, on joua au ballon. Pour avoir la main plus libre, le jeune marié ôta de son doigt l’anneau nuptial ; il le mit au doigt d’une statue qui était près de là. Après avoir bien joué, il retourne vers la statue pour reprendre son anneau ; mais la main s’était fermée, et il lui fut impossible de le retirer. Ce fait se retrouve dans plusieurs légendes du moyen âge. Le jeune homme ne dit rien d’un tel prodige ; mais quand tout le monde fut rentré dans la ville, il revint seul devant la statue, trouva la main ouverte et étendue comme auparavant, toutefois sans la bague qu’il y avait laissée. Ce second événement le jeta dans une grande surprise. Il n’en alla pas moins rejoindre sa famille. Mais il voulut inutilement se rapprocher de sa femme. Un corps solide se plaçait continuellement devant lui. « C’est moi que tu dois embrasser, lui dit-on enfin, puisque tu m’as épousée aujourd’hui : je suis la statue au doigt de laquelle tu as mis ton anneau. » Le jeune époux effrayé révéla la chose à ses parents. Son père lui conseilla d’aller trouver Lexilis dans son cachot ; il lui en remit la clef. Le jeune homme s’y rendit et trouva le magicien endormi sur la table. Après avoir attendu longtemps qu’il s’éveillât, il le tira doucement par le pied : le pied avec la jambe lui demeura dans les ! mains… Lexilis, s’éveillant alors, poussa un cri : la porte du cachot se referma d’elle-même. Le marié tremblant se jeta aux genoux du magicien, lui demanda pardon de sa maladresse et implora son assistance. Le magicien promit de le débarrasser de la statue, moyennant qu’on le mît en liberté. Le marché fait, il rajusta sa jambe à sa place et sortit. Quand il fut libre, Lexilis écrivit une lettre qu’il donna au jeune homme : « Va-t’en à minuit, lui dit-il, dans le carrefour voisin où aboutissent quatre rues ; attends debout et en silence ce que le hasard t’amènera. Tu n’y seras pas longtemps sans voir passer plusieurs personnages, chevaliers, piétons, gentilshommes : les uns armés, les autres sans armes ; les uns tristes, les autres gais. Quoi que tu voies et que tu entendes, garde-toi de parler ni de remuer. Après cette troupe, suivra un certain, puissant de taille, assis sur un char ; tu lui remettras ta lettre, sans dire un mot, et tout ce que tu désires arrivera. » Le jeune homme fit ce qui lui était prescrit et vit passer un grand cortège. Le maître de la compagnie venait le dernier, monté sur un char triomphal. Il passa devant le fils du geôlier, et, jetant sur lui des regards terribles, il lui demanda de quel front il osait se trouver à sa rencontre ? Le jeune homme, mourant de peur, eut pourtant le courage d’avancer la main et de présenter sa lettre. L’esprit, reconnaissant le cachet, la lut aussitôt et s’écria : « Ce Lexilis sera-t-il longtemps encore sur la terre !… » Un instant après, il envoya un de ses gens ôter l’anneau du doigt de la statue, et le jeune époux cessa d’être troublé.

Cependant le geôlier fit annoncer au souverain de Tunis que Lexilis s’était échappé. Tandis qu’on le cherchait de toutes parts, le magicien entra dans le palais, suivi d’une vingtaine de jeunes filles qui portaient des mets choisis pour le prince. Mais, tout en avouant qu’il n’avait rien mangé de si délicieux, le roi de Tunis n’en renouvela pas moins l’ordre d’arrêter Lexilis. Les gardes, voulant s’emparer de lui, ne trouvèrent à sa place qu’un chien mort, sur le ventre duquel ils avaient tous la main,… prestige qui excita la risée générale. Après qu’on se fut calmé, on alla à la maison du magicien ; il était à sa fenêtre, regardant venir son monde. Aussitôt que les soldats le virent, ils coururent à sa porte, qui se ferma incontinent. De par le roi, le capitaine des gardes lui commanda de se rendre, le menaçant d’enfoncer la porte s’il refusait d’obéir. « Et si je me rends, dit Lexilis, que ferez-vous de moi ? — Nous vous conduirons courtoisement au prince. — Je vous remercie de votre courtoisie ; mais par où irons-nous au palais ? — Par cette rue, » reprit le capitaine en la montrant du doigt. En même temps il aperçut un grand fleuve qui venait à lui en grossissant ses eaux et remplissait la rue qu’il venait de désigner, tellement qu’en moins de rien ils en eurent jusqu’à la gorge. Lexilis, riant, leur criait : « Retournez au palais, car pour moi je ne me soucie pas d’y aller en barbet. »

Le prince, ayant appris ceci, résolut de perdre sa couronne plutôt que de laisser le magicien impuni : il s’arma lui-même pour aller à sa poursuite et le trouva dans la campagne qui se promenait paisiblement. Les soldats l’entourèrent pour le saisir ; mais Lexilis faisant un geste,

  1. Voyez cette curieuse tradition dans les Légendes des Commandements de Dieu.
  2. Le sifflet magique, traduit de l’allemand en français, par J. B. J. Champagnac. 1 vol. in-12.