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mencement, n’avait que des pattes comme les chiens ; que tant qu’ils n’eurent que des pattes, les hommes, comme des brutes, vécurent dans la paix, l’heureuse ignorance et la concorde ; mais, ajoutaient-ils, un génie prit les hommes en affection et leur donna des mains. Dès lors nos pères se trouvèrent adroits ; ils se firent des armes, ils subjuguèrent les autres animaux, ils imaginèrent, ils produisirent avec leurs mains des choses surprenantes, bâtirent des maisons, taillèrent des habits et firent des peintures. Ôtez à l’homme ses mains, disaient-ils, et, avec tout son esprit, vous verrez ce qu’il deviendra.

Mais nous avons les mains, et c’est Dieu qui nous les a données. Quoique nous n’en possédions que deux, la loi de l’égalité si vantée, cette loi impossible, a échoué aussi dans nos mains. Il y a de l’aristocratie jusque-là. La main droite se croit bien au-dessus de la main gauche ; c’est un vieux préjugé qu’elle a de temps immémorial. Aristote cite l’écrevisse comme un être privilégié, parce qu’il a la patte droite beaucoup plus grosse que la gauche. Dans les temps anciens, les Perses et les Mèdes faisaient comme nous leurs serments de la main droite. Les nègres regardent la main gauche comme la servante de l’autre ; elle est, disent-ils, faite poulie travail, et la droite seule a le droit de porter les morceaux à la bouche et de toucher le visage. Un habitant du Malabar ne mangerait pas d’aliments que quelqu’un aurait touchés de la main gauche. Les Romains donnaient une si haute préférence à la droite que, lorsqu’ils se mettaient à table, ils se couchaient toujours sur le côté gauche pour avoir l’autre entièrement libre. Ils se défiaient tellement de la main gauche, qu’ils ne représentaient jamais l’amitié qu’en la figurant par deux mains droites réunies. Chez nous, toutes ces opinions ont survécu. Les gens superstitieux prétendent même qu’un signe de croix fait de la main gauche n’a aucune valeur. Aussi on habitue les enfants à tout faire de la main droite et à regarder la gauche comme nulle, tandis que peut-être il y aurait avantage à se servir également des deux mains.

Puisqu’on attache à la main une si juste importance, on doit voir sans surprise que des savants y aient cherché tout le sort des hommes. On a écrit d’énormes volumes sous le titre de chiromancie ou divination par la main. Cette science bizarre présente une foule d’indices qui sont au moins curieux ; c’est toute la science des bohémiennes, que nos pères regardaient ordinairement comme des prophétesses et que l’on écoute encore dans les campagnes. De tout temps, dit-on, l’homme fut de glace pour les vérités et de feu pour les mensonges ; il est surtout ami du merveilleux. Si Peau d’Âne m’était conté, a dit la Fontaine, j’y prendrais un plaisir extrême. Voilà la cause de la crédulité que nos bons aïeux accordaient aux bohémiennes ; et voici les principes de l’art de dire la bonne aventure dans la main, science célèbre parmi les sciences mystérieuses, appelée par les adeptes chiromancie, xeiromancie et chiroscopie.

Il y a dans la main plusieurs parties qu’il est important de distinguer : la paume ou dedans de


la main, le poing ou dehors de la main lorsqu’elle est fermée, les doigts, les ongles, les jointures, les lignes et les montagnes. — Il y a cinq doigts : le pouce, l’index, le doigt du milieu, l’annulaire, l’auriculaire ou petit doigt. Il y a quinze jointures : trois au petit doigt, trois à l’annulaire, trois au doigt du milieu, trois à l’index, deux au pouce et une entre la main et le bras. Il y a quatre lignes principales. La ligne de la vie, qui est la plus importante, commence au haut de la main, entre le pouce et l’index, et se prolonge au bas de la racine du pouce jusqu’au milieu de la jointure qui sépare la main du bras ; la ligne de la santé et de l’esprit, qui a la même origine que la ligne de vie, entre le pouce et l’index, coupe la main en deux et finit au milieu de la base de la main, entre la jointure du poignet et l’origine du petit doigt ; la ligne de la fortune ou du bonheur, qui commence à l’origine de l’index, finit sous la base de la main, " en deçà de la racine du petit doigt ; enfin la ligne de la jointure, qui est la moins importante, se trouve sous le bras, dans le passage du bras à la main ; c’est plutôt un pli qu’une ligne. On remarque une cinquième ligne qui ne se trouve pas dans toutes les mains ; elle se nomme ligne du triangle, parce que, commençant au milieu de