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le moyen de la main : la chiromancie physique, qui, par la simple inspection de la main, devine le caractère et les destinées des personnes ; et la chiromancie astrologique, qui examine les influences des planètes sur les lignes de la main, et croit pouvoir déterminer le caractère et prédire ce qui doit arriver en calculant ces influences. Nous nous sommes plus appesanti sur les principes de la chiromancie physique, parce que c’est la seule qui soit encore en usage. C’est aussi la plus claire et la plus ancienne.

Aristote regarde la chiromancie comme une science certaine ; Auguste disait lui-même la bonne aventure dans la main. Mais les démonomanes pensent qu’on ne peut pas être chiromancien sans avoir aussi un peu de nécromancie, et que ceux qui devinent juste en vertu de cette science sont inspirés souvent par quelque mauvais esprit[1].

« Gardez-vous, en chiromancie, dit M. Salgues[2], des lignes circulaires qui embrasseraient la totalité du pouce ; les cabalistes les nomment l’anneau de Gygès, et Adrien Sicler nous prévient que ceux qui les portent courent risque qu’un jour un lacet fatal ne leur serre la jugulaire. Pour le prouver, il cite Jacquin Caumont, enseigne de vaisseau, qui fut pendu, ne s’étant pas assez méfié de cette funeste figure. Ce serait bien pis si ce cercle était double en dehors et simple en dedans : alors nul doute que votre triste carrière ne se terminât sur une roue. Le même Adrien Sicler a connu à Nîmes un fameux impie qui fut roué en 1559, et qui portait ce signe mortel à la première phalange.

» Il n’est pas possible de vous tracer toutes les lignes décrites et indiquées par les plus illustres chiromanciens pour découvrir la destinée et fixer l’horoscope de chaque individu ; mais il est bon que vous sachiez qu’Isaac Kim-Ker a donné soixante-dix figures de mains au public ; le docte Mélampus, douze ; le profond Compotus, huit ; Jean de Hagen, trente-sept ; le subtil Romphilius, six ; l’érudit Corvæus, cent cinquante ; Jean Cirus, vingt ; Patrice Tricassus, quatre-vingts ; Jean Belot, quatre ; Traisnerus, quarante, et Perrucho, six ; ce qui fait de bon compte quatre cent vingttrois mains sur lesquelles votre sagacité peut s’exercer. Mais, dites-vous, l’expérience et les faits parlent en faveur de la chiromancie. Un Grec prédit à Alexandre de Médicis, duc de Toscane, sur l’inspection de sa main, qu’il mourrait d’une mort violente ; et il fut en effet assassiné par Laurent de Médicis, son cousin. De tels faits ne prouvent rien ; car, si un chiromancien rencontra juste une fois ou deux, il se trompa mille fois. À quel homme raisonnable persuadera-t-on en effet que le soleil se mêle de régler le mouvement de son index (comme le disent les maîtres en chiromancie astrologique) ? que Vénus a soin de son pouce, et Mercure de son petit doigt ? Quoi ! Jupiter est éloigné de vous immensément ; il est quatorze cents fois plus gros que le petit globe que vous habitez, et décrit dans son orbite des années de douze ans, et vous voulez qu’il s’occupe de votre doigt médius !… »

Le docteur Bruhier, dans son ouvrage des Caprices de l’imagination, rapporte qu’un homme de quarante ans, d’une humeur vive et enjouée, rencontra en société une femme qu’on avait fait venir pour tirer des horoscopes. Il présente sa main ; la vieille le regarde en soupirant : — Quel dommage qu’un homme si aimable n’ait plus qu’un mois à vivre ! — Quelque temps après, il s’échauffe à la chasse, la fièvre le saisit, son imagination s’allume, et la prédiction de la bohémienne s’accomplit à la lettre. »

Un personnage important du dernier siècle, M. Raillon, racontait souvent que, dans sa jeunesse, s’étant fait dire sa bonne aventure par une bohémienne, elle lui avait surtout conseillé de prendre garde à l’échafaud, qui lui serait funeste. Son état et sa conduite le mettaient certainement à l’abri de toute crainte à cet égard. Cependant, le triste horoscope s’est malheureusement accompli, quoique d’une manière bien différente du sens que l’on attribue à ce mot pris en mauvaise part. Étant à Paris, et se faisant bâtir un hôtel, il voulut voir par lui-même si les ouvriers exécutaient bien ses ordres. Monté sur un échafaud mal construit, qui cassa sous lui, il tomba de trente pieds de hauteur, et resta mort sur le coup.

Main de gloire. Ce que les sorciers appellent main de gloire est la main d’un pendu, qu’on prépare de la sorte : on l’enveloppe dans un morceau de drap mortuaire, en la pressant bien, pour lui faire rendre le peu de sang qui pourrait y être resté ; puis on la met dans un vase de terre, avec du sel, du salpêtre, du zimat et du poivre long, le tout bien pulvérisé. On la laisse dans ce pot l’espace de quinze jours ; après quoi on l’expose au grand soleil de la canicule, jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement desséchée : si le soleil ne suffit pas, on la met dans un four chauffé de fougère et de verveine. On compose ensuite une espèce de chandelle avec de la graisse de pendu, de la cire vierge et du sésame de Laponie ; et on se sert de la main de gloire, comme d’un chandelier, pour tenir cette merveilleuse chandelle allumée. Dans tous les lieux où l’on va avec ce funeste instrument, ceux qui y sont demeurent immobiles, et ne peuvent non plus remuer que s’ils étaient morts.

Il y a diverses manières de se servir de la main de gloire ; les scélérats les connaissent bien ; mais, depuis qu’on ne pend plus chez nous, ce doit être chose rare.

  1. Hexameron de Torquemada, quatrième journée.
  2. Des erreurs et des préjugés, etc., t. II, p. 49 et suivantes.