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et mettent dans la chambre un bassin plein d’eau pour qu’ils puissent se laver les pieds. Ils attendent jusqu’à minuit. Alors, supposant les morts arrivés, ils leur font compliment, allument des cierges, brûlent des odeurs et les prient, en leur faisant de profondes révérences, de ne pas oublier leurs enfants et de leur obtenir des dieux la force, la santé, les biens et une longue vie.

Les Siamois brûlent les corps et mettent autour du bûcher beaucoup de papiers où sont peints des jardins, des maisons, des animaux, des fruits, en un mot, tout ce qui peut être utile et agréable dans l’autre vie. Ils croient que ces papiers brûlés deviennent réellement de qu’ils représentent. Ils croient aussi que tout être, dans la nature, quel qu’il soit, un habit, une flèche, une hache, un chaudron, etc., a une âme, et que cet âme suit dans l’autre monde le maître à qui la chose appartenait dans ce monde-ci. On aurait dit sérieusement pour eux ces vers burlesques :

      J’aperçus l’ombre d’un cocher Qui,
      tenant l’ombre d’une brosse,
      En frottait l’ombre d’un carrosse[1].

Le gibet, qui nous inspire tant d’horreur, a passé chez quelques peuples pour une telle marque d’honneur que souvent on ne l’accordait qu’aux grands seigneurs et aux souverains. Les Tibaréniens, les Suédois, les Goths suspendaient les corps à des arbres et les laissaient se défigurer ainsi peu à peu, et servir de jouet aux vents. D’autres emportaient dans leurs maisons ces corps desséchés et les pendaient au plancher comme des pièces de cabinet[2]. Les Groënlandais, habitant le pays du monde le plus froid, ne prennent pas d’autres soins des morts que de les exposer nus à l’air, où ils se gèlent et se durcissent aussitôt comme des pierres ; puis, de peur qu’en les laissant au milieu des champs ils ne soient dévorés par les ours, les parents les enferment dans de grands paniers qu’ils suspendent aux arbres. Les Troglodytes exposaient les corps morts sur une éminence, le derrière tourné vers les assistants ; de sorte qu’excitant, par cette posture, le rire de toute l’assemblée, on se moquait du mort au lieu de le pleurer ; chacun lui jetait des pierres, et quand il en était couvert, on plantait au-dessus une corne de chèvre et on se retirait. Les habitants des îles Baléares dépeçaient le corps en petits morceaux et croyaient honorer infiniment le défunt en l’ensevelissant dans une cruche. Dans certains pays de l’Inde, la femme se brûle sur le bûcher de son mari.

Lorsqu’elle a dit adieu à sa famille, on lui apporte des lettres pour le défunt, des pièces de toile, des bonnets, des souliers, etc. Quand les présents cessent de venir, elle demande jusqu’à trois fois à l’assemblée si l’on n’a plus rien à lui apporter et à lui recommander, ensuite elle fait un paquet de tout et l’on met le feu au bûcher. Dans le royaume de Tonquin, il est d’usage, parmi les personnes riches, de remplir la bouche du mort de pièces d’or et d’argent, pour ses besoins dans l’autre monde. On revêt l’homme de sept de ses meilleurs habits et la femme de neuf robes. Les Galates mettaient dans la main du mort un certificat de bonne conduite.

Chez les Turcs, on loue des pleureuses qui accompagnent le convoi, et on porte des rafraî-

  1. De Ch. Perrault, attribués mal à propos à Scarron.
  2. Muret, Des cérémonies funèbres, etc