Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/503

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
NUI
NUM
— 495 —

navire qui va appareiller, c’est, si le noyé y meurt, un mauvais présage, qui annonce des malheurs et le danger de périr. Superstition inhumaine. Aussi laissent-ils les noyés à l’eau.

Voici une légende qui a été racontée par le poète Œhlenschlæsger. Ce n’est point une légende, c’est un drame de la vie réelle. Un pauvre matelot a perdu un fils dans un naufrage, et la douleur l’a rendu fou. Chaque jour il monte sur

 
 
sa barque et s’en va en pleine mer ; là, il frappe à grands coups sur un tambour, et il appelle son fils à haute voix : — Viens, lui dit-il, viens ! sors de ta retraite, nage jusqu’ici, je te placerai à côté de moi dans mon bateau ; et si tu es mort, je te donnerai une tombe dans le cimetière, une tombe entre des fleurs et des arbustes ; tu dormiras mieux là que dans les vagues. Mais le malheureux appelle en vain et regarde en vain. Quand la nuit descend, il s’en retourne en disant : — J’irai demain plus loin, mon pauvre fils ne m’a pas entendu[1].

Nuit des trépassés. De tous les jours de

 
 
l’année, il n’en est point que l’imagination superstitieuse des Flamands ait entouré de plus grandes terreurs que le Ier novembre. Les morts sortent à minuit de leurs tombes pour venir, en longs suaires, rappelerles prières dont ils ont besoin aux vivants qui les oublient. La sorcière et le vieux berger choisissent cette soirée pour exercer leurs redoutables maléfices. L’ange Gabriel soulève alors pour douze heures le pied sous lequel il retient le démon captif, et rend à cet infernal ennemi des hommes le pouvoir momentané de les faire souffrir. D’ordinaire, la désolation de la nature vient encore ajouter aux terreurs de ces croyances ; la tempête mugit, la neige tombe avec abondance, les torrents se gonflent et débordent ; enfin la souffrance et la mort menacent de toutes parts le voyageur[2].

Numa-Pompilius, second roi de Rome. Il donna à son peuple des lois assez sages, qu’il disait tenir de la nymphe Égérie. Il marqua les jours heureux et les jours malheureux, etc.[3].

Les démonomanes font de Numa un insigne enchanteur et un profond magicien. Cette nymphe, qui se nommait Égérie, n’était autre chose qu’un démon qu’il s’était rendu familier, comme étant un des plus versés et mieux entendus qui aient jamais existé en l’évocation des diables. Aussi tient-on pour certain, dit Leloyer, que ce fut, par l’assistance et l’industrie de ce démon qu’il fit beaucoup de choses curieuses pour se mettre en crédit parmi le peuple de Rome, qu’il voulait gouverner à sa fantaisie. À ce propos, Denys d’Halicarnasse raconte qu’un jour, ayant invité à souper bon nombre de citoyens, il leur fit servir des viandes simples et communes en vaisselle peu somptueuse ; mais dès qu’il eut dit un mot, sa diablesse le vint trouver, et tout incontinent la salle devint pleine de meubles précieux, et les tables furent couvertes de toutes sortes de viandes exquises et délicieuses. Il était si habile dans ses conjurations, qu’il forçait Jupiter à quitter son séjour et à venir causer avec lui. Numa-Pompilius fut le plus grand sorcier et le plus fort magicien de tous ceux qui ont porté couronne, dit Delancre ; il avait encore plus de

  1. Marmier, Traditions des bords de la Baltique.
  2. H. Berthould, La nuit de la Toussaint.
  3. Entre autres choses, il présenta aux Romains, un jour, un certain bouclier (qu’on nomma ancile ou ancilie) et qu’il dit être tombé du ciel pendant une peste qui ravageait l’Italie ; il prétendit qu’à la conservation de ce bouclier étaient attachées les destinées de l’empire romain, important secret qui lui avait été révélé par Egérie et les Muses. De peur qu’on n’enlevât ce bouclier sacré, il en fit faire onze autres, si parfaitement semblables, qu’il était impossible de les distinguer du véritable, et que Numa lui-même fut dans l’impossibilité de le reconnaître. Les douze boucliers étaient échancres des deux côtés. Numa en confia la garde à douze prêtres qu’il institua pour cet effet, et qu’il nomma Saliens ou Agonaux. Mammurius, qui avait fait les onze copies si habilement, ne voulut d’autre récompense de son travail que la gloire de l’avoir convenablement exécuté.