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quantités énormes de charbon. La princesse, malgré son zèle, voyant qu’elle avait dépensé une grande partie de sa fortune à fournir aux besoins du philosophe, commença à régler l’essor de son imagination sur les conseils de la sagesse. Elle découvrit sa façon de penser au physicien : celui-ci avoua qu’il était surpris de la lenteur de ses progrès ; mais il allait redoubler d’efforts et hasarder une opération de laquelle, jusque-là, il avait cru pouvoir se passer. La protectrice se retira ; les visions dorées reprirent leur premier empire. Un jour qu’elle était à dîner, un cri affreux, suivi d’une explosion semblable à celle d’un coup de canon, se fit entendre ; elle se rendit avec ses gens auprès du chimiste. On trouva deux larges retortes brisées, une grande partie du laboratoire en flamme, et le physicien grillé depuis les pieds jusqu’à la tête.

Elie Ashmole écrit dans sa Quotidienne du 13 mai 1655 : « Mon père Backouse (astrologue qui l’appelait son fils, méthode pratiquée par les gens de cette espèce) étant malade dans FleetStreet, près de l’église de Saint-Dunstan, et se trouvant, sur les onze heures du soir, à l’article de la mort, me révéla le secret de la pierre philosophale, et me le légua un instant avant d’expirer. »

Nous apprenons par là qu’un malheureux qui connaissait l’art de faire de l’or vivait cependant de charités, et qu’Ashmole croyait fermement être en possession d’une pareille recette.

Ashmole a néanmoins élevé un monument curieux des savantes folies de son siècle, dans son Theatrum chimicum britannicum, vol. in-4o, dans lequel il a réuni les traités des alchimistes anglais. Ce recueil présente divers échantillons des mystères de la secte des roses-croix, et Ashmole raconte des anecdotes dont le merveilleux surpasse toutes les chimères des inventions arabes. Il dit de la pierre philosophale qu’il en sait assez pour se taire et qu’il n’en sait pas assez pour en parler.

La chimie moderne n’est pourtant pas sans avoir l’espérance, pour ne pas dire la certitude, de voir un jour vérifiés les rêves dorés des alchimistes. Le docteur Girtanner de Gœttingue a dernièrement hasardé cette prophétie que, dans le dix-neuvième siècle, la transmutation des métaux sera généralement connue ; que chaque chimiste saura faire de l’or ; que les instruments de cuisine seront d’or et d’argent, ce qui contribuera beaucoup à prolonger la vie, qui se trouve aujourd’hui compromise par les oxydes de cuivre, de fer et de plomb que nous avalons avec notre nourriture[1]. C’est ce que surtout le galvanisme amènera.

Pierre de santé. À Genève et en Savoie, on appelle ainsi une espèce de pyrite martiale très-dure et susceptible d’un beau poli. On taille ces pyrites en facettes comme le cristal, et l’on en fait des bagues, des boucles et d’autres ornements. Sa couleur est à peu près la même que celle de l’acier poli. On lui donne le nom de santé, d’après le préjugé où l’on est qu’elle pâlit lorsque la santé de la personne qui la porte est sur le point de s’altérer.

Pierre-de-feu, démon inconnu qui est invoqué dans les litanies du sabbat.

Pierre-fort, démon invoqué dans les litanies du sabbat. Nous ne le connaissons pas autrement, et il se peut aussi que ce soit un des plus affreux saints des sorciers.

Pierre d’Apone, philosophe, astrologue et médecin, né dans le village d’Abano ou Apono[2], près de Padoue, en 1250. C’était le plus habile magicien de son temps, disent les démonomanes ; il s’acquit la connaissance des sept arts libéraux, par le moyen de sept esprits familiers qu’il tenait


enfermés dans des bouteilles ou dans des boîtes de cristal. Il avait de plus l’industrie de faire revenir dans sa bourse tout l’argent qu’il avait dépensé. Il fut poursuivi comme hérétique et magicien ; et s’il eût vécu jusqu’à la fin du procès, il y a beaucoup d’apparence qu’il eût été brûlé vivant, comme il le fut en effigie après sa mort. Il mourut à l’âge de soixante-six ans. Cet homme avait, dit-on, une telle antipathie pour le lait qu’il n’en pouvait sentir le goût ni l’odeur. Thomazo Garsoni dit, entre autres contes merveilleux sur Pierre d’Apone, que, n’ayant point de puits dans sa maison, il commanda au diable de porter dans la rue le puits de son voisin, parce qu’il refusait de l’eau à sa servante. Malheureusement

  1. Philosophie magique, v. VI, P. 383.
  2. Il y a dans le village d’Abone, aujourd’hui Abano, une fontaine qui prêtait autrefois la parole aux muets, et qui donnait à ceux qui y buvaient le talent de dire la bonne aventure. Voyez le septième chant de la Pharsale de Lucain.