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Il y eut, sous le règne de Louis XIII, une histoire de revenant qui lit assez de bruit à Marseille ; c’était une espèce de feu ardent ou d’homme de feu. Le comte et la comtesse d’Alais voyaient toutes les nuits un spectre enflammé se promener dans leur chambre, et aucune force humaine ne pouvait le forcer à se retirer. La jeune dame supplia son mari de quitter une maison et une ville où ils ne pouvaient plus dormir. Le comte, qui se plaisait à Marseille, voulut employer d’abord tous les moyens pour l’expulsion du fantôme. Gassendi fut consulté ; il conclut que ce fantôme de feu qui se promenait toutes les nuits était formé par des vapeurs enflammées que produisait le souffle du comte et de la comtesse… D’autres savants donnèrent des réponses aussi satisfaisantes. On découvrit enfin le secret. Une femme de chambre, cachée sous le lit, faisait paraître un phosphore à qui la peur donnait une taille et des formes effrayantes ; et la comtesse elle-même faisait jouer cette farce pour obliger son mari à partir de Marseille, qu’elle n’aimait pas…

Ardibèhecht, l’un des sept Amschaspands. Il préside au feu.

Argens (Boyer d’), marquis, né en 1704, à Aix en Provence. On trouve, parmi beaucoup de fatras, des choses curieuses sur les gnomes, les sylphes, les ondins et les salamandres, dans ses « Lettres cabalistiques, ou Correspondance philosophique, historique et critique entre deux cabalistes, divers esprits élémentaires et le seigneur Astaroth ». La meilleure édition est de 1769, 7 vol. in-12. Ce livre, d’un très-mauvais esprit, est infecté d’un philosophisme que l’auteur a désavoué ensuite.

Argent. L’argent qui vient du diable est ordinairement de mauvais aloi. Delrio conte qu’un homme ayant reçu du démon une bourse pleine d’or n’y trouva le lendemain que des charbons et du fumier.

Un inconnu, passant par un village, rencontra un jeune homme de quinze ans d’une figure intéressante et d’un extérieur fort simple. Il lui demanda s’il voulait être riche ; le jeune homme ayant répondu qu’il le désirait, l’inconnu lui donna un papier plié, et lui dit qu’il en pourrait faire sortir autant d’or qu’ils le souhaiterait, tant qu’il ne le déplierait pas, et que s’il domptait sa curiosité, il connaîtrait avant peu son bienfaiteur. Le jeune homme rentra chez lui, secoua son trésor mystérieux, il en tomba quelques pièces d’or… Mais, n’ayant pu résister à la tentation de l’ouvrir, il y vit des griffes de chat, des ongles d’ours, des pattes de crapaud, et d’autres figures si horribles, qu’il jeta le papier au feu, où il fut une demi-heure sans pouvoir se consumer. Les pièces d’or qu’il en avait tirées disparurent, et il reconnut qu’il avait eu affaire au diable.

Un avare, devenu riche à force d’usure, se sentant à l’article de la mort, pria sa femme de lui apporter sa bourse, afin qu’il pût la voir encore avant de mourir. Quand il la tînt, il la serra tendrement, et ordonna qu’on l’enterrât avec lui, parce qu’il trouvait l’idée de s’en séparer déchirante. On ne lui promit rien précisément, et il mourut en contemplant son or. Alors on lui arracha la bourse des mains, ce qui ne se fit pas sans peine ; mais quelle fut la surprise de la famille assemblée, lorsqu’en ouvrant le sac on y trouva, non pas des pièces d’or, mais deux crapauds !… Le diable était venu, et en emportant l’âme de l’usurier il avait emporté son or, comme deux choses inséparables et qui n’en faisaient qu’une.

Voici autre chose : Un homme qui n’avait que vingt sous pour toute fortune se mit à vendre du vin aux passants. Pour gagner davantage, il mettait autant d’eau que de vin dans ce qu’il vendait. Au bout d’un certain temps il amassa, par cette voie injuste, la somme de cent livres. Ayant serré cet argent dans un sac de cuir, il alla avec un de ses amis faire provision de vin pour continuer son trafic ; mais, comme il était près d’une rivière, il tira du sac de cuir une pièce de vingt sous pour une petite emplette ; il tenait le sac dans la main gauche et la pièce dans la droite ; incontinent un oiseau de proie fondit sur lui et lui enleva son sac, qu’il laissa tomber dans la rivière. Le pauvre homme, dont toute la fortune se trouvait ainsi perdue, dit à son compagnon : — Dieu est équitable ; je n’avais qu’une pièce de vingt sous quand j’ai commencé à voler ; il m’a laissé mon bien, et m’a ôté ce que j’avais acquis injustement.

Un étranger bien vêtu, passant au mois de septembre 1606 dans un village de la Franche-Comté, acheta une jument d’un paysan du lieu pour la somme de dix-huit ducatons. Comme il n’en avait que douze dans sa bourse, il laissa une chaîne d’or en gage du reste, qu’il promit de payer à son retour. Le vendeur serra le tout dans du papier, et le lendemain trouva la chaîne disparue, et douze plaques de plomb au lieu des ducatons[1].

Terminons en rappelant un stupide usage de quelques villageois qui croient que, quand on fait des beignets avec des œufs, de la farine et de l’eau, pendant la messe de la Chandeleur, de manière qu’on en ait de faits après la messe, on a de l’argent pendant toute l’année[2]. On en a toute l’année aussi, quand on en porte sur soi le premier jour où l’on entend le chant du coucou, — et tout le mois, si on en a dans sa poche la première fois qu’on voit la lune nouvelle.

Argent potable. Si vous êtes versé dans les secrets de l’alchimie et que vous souhaitiez

  1. Boguet, Discours des sorciers.
  2. Thiers, Traité des superstitions.