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et là ! Il y avait cependant en France des sorcières qui allaient au sabbat sans bâton, ni graisse, ni monture, seulement en prononçant quelques paroles. Mais celles d’Italie ont toujours un bouc qui les attend pour les emporter. Elles ont coutume, comme les nôtres, de sortir généralement par la cheminée. Ceux ou celles qui manquent au rendez-vous payent une amende ; le diable aime la discipline.

Les sorcières mènent souvent au sabbat, pour différents usages, des enfants qu’elles dérobent. Si une sorcière promet de présenter au diable, dans le sabbat prochain, le fils ou la fille de quelque gueux du voisinage et qu’elle ne puisse venir à bout de l’attraper, elle est obligée de présenter son propre fils ou quelque autre enfant d’aussi haut prix. Les enfants qui plaisent au diable sont admis parmi ses sujets de cette manière : Maître Léonard, le grand nègre, président des sabbats, et le petit diable, maître Jean Mullin, son lieutenant, donnent d’abord un parrain et une marraine à l’enfant (Voy. Baptême du diable); puis on le fait renoncer Dieu, la Vierge et les saints, et, après qu’il a renié sur le grand livre, Léonard le marque d’une de ses cornes dans l’œil gauche. Il porte cette marque pendant tout son temps d’épreuves, à la suite duquel, s’il s’en est bien tiré, le diable lui administre un autre signe qui a la figure d’un petit lièvre, ou d’une patte de crapaud, ou d’un chat noir.

Durant leur noviciat, on charge les enfants admis de garder les crapauds, avec une gaule blanche, sur le bord du lac, tous les jours de sabbat ; quand ils ont reçu la seconde marque, qui est pour eux un brevet de sorciers, ils sont admis à la danse et au festin. Les sorciers, initiés aux mystères du sabbat, ont coutume de dire : J’ai bu du tabourin, j’ai mangé du cymbale, et je suis fait profès. Ce que Leloyer explique de la sorte : « Par le tabourin, on entend la peau de bouc enflée de laquelle ils tirent le jus et consommé pour boire, et par le cymbale le chaudron ou bassin dont ils usent pour cuire leurs ragoûts. » Les petits qui ne promettent rien de convenable sont condamnés à être fri cassés. Il y a là des sorcières qui les dépècent et les font cuire pour le banquet.

Lorsqu’on est arrivé au sabbat, le premier devoir est d’aller rendre hommage au maître. Il est assis sur un trône ; ordinairement il affecte la figure d’un grand bouc ayant trois cornes, dont celle du milieu jette une lumière qui éclaire l’assemblée ; quelquefois il prend la forme d’un oiseau, ou d’un bœuf, ou d’un tronc d’arbre sans pied, avec une face humaine fort ténébreuse ; ou bien il paraît en oiseau noir ou en homme tantôt noir, tantôt rouge. Mais sa figure favorite est celle d’un bouc. Il porte une couronne noire, les cheveux hérissés, le visage pâle et troublé, les yeux ronds, grands, fort ouverts, enflammés et hideux ; une barbe de chèvre, les mains comme celles d’un homme, excepté que les doigts sont tous égaux, courbés comme les griffes d’un oiseau de proie, et terminés en pointe ; les pieds

 
 
en pattes d’oie, la queue longue comme celle d’un âne ; il a la voix effroyable et monotone, tient une gravité superbe, et porte toujours sous la queue un visage d’homme noir, visage que tous les sorciers baisent en arrivant au sabbat : c’est là ce qu’on appelle l’hommage. Il donne ensuite un pou d’argent à tous ses adeptes ; puis il se lève pour le festin, où le maître des cérémonies place tout le monde, chacun selon son rang, mais toujours un diable à côté d’un sorcier.

Quelques sorcières ont dit que la nappe du sabbat est dorée, et qu’on y sert toutes sortes de bons mets, avec du pain et du vin délicieux. Mais le plus grand nombre de ces femmes ont déclaré, au contraire, qu’on n’y sert que des crapauds, de la chair de pendus, de petits enfants non baptisés et mille autres horreurs, et que le pain du diable est fait de millet noir. On chante pendant le repas des choses abominables ; et après qu’on a mangé, on se lève de table, on adore le maître, puis chacun se divertit. Les uns dansent en rond, ayant chacun un chat pendu au derrière ; d’autres rendent compte des maux qu’ils ont faits, et ceux qui n’en ont pas fait assez sont punis. Des sorcières répondent aux accusations des crapauds qui les servent ; quand ils se plaignent de n’être pas bien nourris par leurs maîtresses, les maîtresses subissent un châtiment.

Les correcteurs du sabbat sont de petits démons sans bras, qui allument un grand feu, y jettent les coupables, et les en retirent quand il le faut.

Ici, on fait honneur à des crapauds, habillés de velours rouge ou noir, portant une sonnette au cou et une autre au pied droit. On les donne comme d’utiles serviteurs aux sorcières qui ont bien mérité des légions infernales. Là, une magicienne dit la messe du diable pour ceux qui veulent l’entendre. Ailleurs se commettent les plus révoltantes et les plus honteuses horreurs.