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nonça officiellement, la découverte faite en Étrurie d’un serpent long de soixante-quinze pieds. Dion Cassius dit que, sous le même prince, on vit dans la même contrée un serpent de quatre-vingt-cinq pieds de long, qui causa de grands ravages et fut frappé de la foudre. Le plus célèbre de tous ceux dont ont parlé les auteurs anciens est celui qu’eut à combattre l’armée romaine près de Carthage, sur les bords du lac Bagrada, pendant le second consulat de Régulus, l’an de Rome 498, qui répond à l’année 256 avant Jésus-Christ. Ce

 
 
serpent avait cent vingt pieds de long et causait de grands ravages dans l’armée romaine. Régulus fut obligé de diriger contre lui les balistes et les catapultes, jusqu’à ce qu’une pierre énorme lancée par une de ces machines l’écrasa. Le consul, pour prouver au peuple romain la nécessité où il se trouvait d’employer son armée à cette expédition extraordinaire, envoya à Rome la peau du monstre, et on la suspendit dans un temple où elle resta jusqu’à la guerre de Numance. Mais la dissolution du corps causa une telle infection, qu’elle força l’armée à déloger. Il n’y a peut-être pas dans l’histoire de fait mieux attesté, plus circonstancié et raconté par un plus grand nombre d’auteurs.

» Philostorge parle de peaux de serpents de soixante-huit pieds de long, qu’il avait vues à Rome. Diodore rapporte qu’un serpent de quarante-cinq pieds de long fut pris dans le Nil et envoyé vivant à Ptolémée-Philadelphe à Alexandrie. Strabon, qui, d’après Agatharchides, parle d’autres serpents de la même grandeur, cite ailleurs Posidonius, qui vit dans la Cœlésyrie un serpent mort de cent vingt pieds de long et d’une circonférence telle que deux cavaliers séparés par son corps ne se voyaient pas.

» Alléguerons-nous que le même Strabon rapporte, d’après Onésicrite, que, dans une contrée de l’Inde appelée Aposisares, on avait nourri deux serpents, l’un de cent vingt pieds, l’autre de deux cent dix, et qu’on désirait beaucoup les faire voir à Alexandre ? Si nous ajoutions le serpent que Maxime de Tyr prétend avoir été montré par Taxile au même conquérant, et qui avait cinq cents pieds de long, nous arriverions dans les traditions de l’Orient, presque au même degré d’extension où nous avons vu les traditions Scandinaves, qui donnent six cents pieds à leur serpent de mer. Mais on peut juger par ces rapprochements que l’existence de cet animal, bien qu’entourée souvent de traits suspects, est loin d’être nouvelle ; qu’elle a été observée de bien des manières et depuis bien longtemps. Ce n’est pas, comme on le disait, un danger de plus pour les navigateurs ; car ce terrible monstre est déjà indiqué dans la Bible sous le nom de Léviathan, que l’Écriture applique à diverses bêtes énormes, ainsi que le remarque Bochart. Le prophète Isaïe l’applique ainsi : Léviathan, ce serpent immense ; Léviathan, serpent à divers plis et replis[1].

» Dans ce siècle, la présence du serpent de mer a été signalée en 1808, en 1815, en 1817 et en 1837. Il n’est pas présumable qu’on le rencontre plus fréquemment à l’avenir que par le passé ; du moins l’attention publique, appelée sur ce phénomène par les organes de la presse, portera à la publicité des faits du même genre qui pourraient survenir encore, et qui sans cela auraient passé inaperçus. L’auteur anglais qui le premier a publié ceux qu’il avait recueillis, et à qui nous devons toutes nos citations des témoignages modernes, fait aussi connaître le moyen que les pêcheurs norvégiens emploient pour se garantir du serpent de mer. Lorsqu’ils l’aperçoivent tout près d’eux, ils évitent surtout les vides que laisse sur l’eau l’alternative de ses plis et replis. Si le soleil brille, ils rament dans la direction de cet astre qui éblouit le serpent. Mais lorsqu’ils l’aperçoivent à distance, ils font toujours force de rames pour l’éviter. S’ils ne peuvent espérer d’y parvenir, ils se dirigent droit sur sa tête, après avoir arrosé le pont d’essence de musc. On a observé l’antipathie de cet animal pour ce parfum violent ; aussi les pêcheurs norvégiens en son t toujours pourvus quand ils se mettent en mer pendant les mois calmes et chauds de l’été. Dans la rencontre faite en 1837, les personnes qui étaient à bord du Havre ont aperçu seulement les ondulations du corps de l’immense reptile, et ont évalué approximativement sa longueur à plusieurs fois celle du navire. »

  1. Isaïe, ch. xxvi, verset 4, traduct. de Sacy.